Made in Franck : BRANDT RHAPSODIE

Plongez dans l’univers musical « Made in Franck » d’un jeune homme qui ressort de son sac en coton bio des titres d’hier, d’aujourd’hui ou de demain. Des notes, des récits à la première personne et photos d’une époque, le tout en chanson. Cette semaine, fond marin avec Benjamin Biolay et Jeanne Cherhal, ou comment s’identifier à une chanson d’amour.
Toutes les chansons ont une fin, ce n’est pas pour autant qu’il ne faut pas en apprécier la musique. Pourtant, il y a des chansons que l’on aimerait qu’elles n’arrêtent jamais de nous couvrir de leur musique, qu’on se repasse en boucle, la touche REPEAT bien enfoncée et d’autres que l’on ne voudrait pas qu’elles finissent pour ne pas entendre leur fin. C’est le cas de « Brandt Rhapsodie » de Benjamin Biolay qu’il partage en très juste et égal duo avec Jeanne Cherhal.

« Brandt Rhapsodie » fait partie de ces chansons d’amour modernes, presque 2.0, tellement elle est à la fois contemporaine et intemporelle. Ni un slow, ni une balade. Une vraie chanson d’amour. Entière.

 

La première fois que j’ai entendu la voix hésitante et amoureuse de Jeanne Cherhal, suivie par la voix de velours grave de Benjamin Biolay, mon cœur s’est emballé, mes poils se sont dressés et mes larmes m’ont caressé. Je me demandais si aujourd’hui encore on pouvait écrire une chanson d’amour, sur quel sujet, que raconter, comment… ? Depuis Serge Gainsbourg, il semblait que le stock du genre était épuisé.

Les chansons d’amour se ressemblent pour moi. Il y a les « je t’aime », les « je t’ai aimé, tu m’as quitté », les « je t’aime toujours » et les « je ne t’aime plus ». Biolay, lui, a réussi en un seul titre à combiner et assortir les quatre histoires en une seule. Comment ? Simplement en racontant l’histoire d’amour d’un couple, de la première nuit (que l’on imagine bien avoir été un plan cul) à la dernière. Sans concessions et sans rien oublier, on suit sur fond de bruit de crayon les petits mots doux –et moins doux- d’un homme et d’une femme. L’amour qui naît, la passion, les promesses, l’habitude qui s’installe, la reprise de liberté individuelle, l’enfant (qui sauve le couple), la routine, la lassitude, le début de la fin, la rupture, le divorce.

Un schéma qui parait presque « classique » ou attendu de nos jours. Pour autant rien ne sonne cliché dans leurs mots. On est loin du pourtant vrai « Mon cœur, mon amour » d’Anaïs ! Ici, ce sont des mots que l’on a tous connu ou aimé connaître. Que l’on se fantasme ou que l’on regrette. Des mots déjà trouvés au réveil sur l’oreiller d’à côté, dissimulé comme une surprise, ou laissé derrière soi par dépit.

Quand la chanson est parue en octobre 2009 sur le sublime double album « La Superbe » de Biolay, je n’avais connu jusque-là seulement les premières phrases d’amoureux effervescents. Un post-it ou un SMS de lendemain de plan cul, qui disparaît aussi vite qu’on s’inscrit à un site de rencontres. Les lendemains où l’on a autant la gueule de bois que le cœur emballé et les lèvres gonflés. Mais qui s’estompe dès le verre suivant…

Je me rêvais comme toutes les personnes de ma génération, formatées aux comédies romantiques et aux contes de fée, recevoir les mêmes messages enflammés que se laissent les amoureux de notre chanson. Les mêmes envies, pensées, surprises, attentions. Que tout soit aussi rose que ses fleurs livrées et aussi vrai qu’écrits noir sur blanc. J’ai écouté cette chanson en boucle, dans les transports, dans mon iPod, dans ma cuisine, dans mon lit. J’apprenais malgré moi par cœur les post-it que se lisent Biolay et Cherhal. Capable de les réciter comme on récite une poésie à l’école ou plutôt comme s’ils m’étaient destinés.

Et puis un jour, mon plan cul s’est transformé en liaison, ma liaison en amourette, mon amourette en histoire d’amour, mon histoire d’amour en « grand projet ». A mon tour, je connais cette échelle, ce passage de couplets en couplets, sans refrain niais et répétitif, juste cette successions d’histoires quotidiennes, dans l’avancée échelonnée de notre histoire. Nos SMS se sont doublés de petits mots écrits, à la main, avec le cœur, et laissés, avec le sourire. J’ai peut-être ouvert le bal, mais sa danse a suivi. Une ardoise, des craies, des mots qui se succèdent et se superposent, des post-it à côté de sa tasse, collés sur le miroir de la salle de bain ou sur l’écran de mon ordinateur, glissés dans son sac, attachés à nos cœurs et dans la pensée pour la journée.

« Brandt Rhapsodie » fait donc partie des chansons que l’on ne veut pas qu’elles se terminent, car on en connaît l’issue, fatale ; ou que l’on préfèrerait qu’elle se taise tout de suite. Après le matraquage Disney et les « Happy End », j’avais peur de l’évidence. La chanson était à sa moitié. Mon cœur battait comme défilaient les secondes. Je connaissais malgré moi le schéma et redoutais leur rupture. Pourtant je l’ai écouté jusqu’à sa fin.

Comme avec une VHS de « Ghost », je savais que l’on peut rembobiner et revenir en arrière, pour faire renaître leur couple et ressusciter Patrick Swayze. J’arrêtais là le processus d’identification et mettais « Brandt Rhapsodie » sur pause, souhaitant que mon histoire d’amour en reste aussi à cette étape, que le schéma ne s’applique pas à nous, et que nos petits mots ne se tournent pas vers la même fin.

« Brandt Rhapsodie » fait finalement partie de ces chansons d’amour que l’on peut écouter encore et encore à une époque précise de notre vie mais que l’on préfère ranger, presque oublier jusqu’à la redécouvrir ou jusqu’à changer de chanson d’amour… END.

 

  

Texte : Julien Franck / Photos : Mickaël Komer