Le célèbre journal de Pierre Lazareff a tiré sa révérence le 13 décembre dernier. Agé de 67 ans, le titre a été une institution avant de traverser les crises et de connaître la mort imminente de sa version papier décidée il y a deux mois par son propriétaire Alexandre Pugachev. Quel est le climat au sein de la rédaction ? Faut-il croire au tout-numérique ? Réactions de Loïc Torino-Gilles, journaliste au service Culture et Médias à France-Soir.
Coulissesmédias : Après une semaine agitée marquée par l’arrêt de la version papier de France-Soir, dans quel état d’esprit êtes-vous ?
Loïc Torino-Gilles : J’ai envie que ça se termine. Je suis extrêmement déçu qu’il n’y ait pas eu de dernière édition. Je m’en suis d’ailleurs vivement expliqué avec le directeur de la rédaction. Je pense qu’il était logique de dire au revoir aux lecteurs qui ont été fidèles. On a un peu l’impression de partir comme des voleurs. Ça a été brutal pour le lecteur mais aussi pour nous puisque le dernier journal, prévu le 15 décembre, n’est jamais paru. C’est la conséquence d’une action de certains CGTistes la veille.
Coulissesmédias : Est-ce que ces derniers vous avaient préparés à cette intrusion dans les locaux du journal ?
Loïc Torino-Gilles : Pas du tout. Et cette action n’a vraiment pas fait l’unanimité. Ce genre de combat, pour maintenir l’emploi le pluralisme de l’information, est louable mais les méthodes sont condamnables. L’occupation des locaux est intervenue le jour où devait se tenir l’un des derniers C.E du journal. Il avait son importance puisqu’il devait aborder le plan social qui touche 89 salariés sur 115. Je pense que tout cela est arrivé un jour trop tôt, ça a été démesuré, mal orchestré et maladroit. Nous nous sommes sentis pris en otages. C’est une triste fin, nous sommes dépités.
Coulissesmédias : Comment avez-vous vécu ces deux derniers mois qui ont suivi l’annonce de l’arrêt de la version papier de France-Soir ?
Loïc Torino-Gilles : Ils ont été extrêmement longs. L’agonie a été lente. Jusqu’à la semaine dernière, dans notre service, nous sommes restés très motivés. Nous avons continué à travailler normalement. Puis l’ambiance s’est dégradée à tous les étages. J’ai ressenti une vraie démobilisation. Une guerre entre syndicats et salariés a éclaté. Les assemblées générales ont tourné au pugilat… Il était devenu un peu compliqué d’aller travailler dans ces conditions là.
Coulissesmédias : L’envie demeurait même si le journal ne cessait de changer, ne serait-ce qu’avec sa pagination de plus en plus réduite ?
Loïc Torino-Gilles : Pour mon service, ça n’a rien changé. Qu’on soit à 40 pages, à 32 pages ou 24 pages, nous avons toujours eu 4 pages. Nous avons terminé en sous-effectif, ce qui demandé plus d’implication. Ce n’est pas facile d’avoir le moral, mais ce travail me passionne depuis toujours. J’ai encore l’envie.
Coulissesmédias : Finalement, quelles ont été les grandes erreurs du journal qui lui ont fait perdre sa saveur des années 70 ?
Loïc Torino-Gilles : Il y a eu un très bon plan de relance sous l’impulsion de Gilles de Prévaux et Christian de Villeneuve. Je n’étais pas fan de la maquette. Au service culture, c’était assez valorisant puisque nous avions entre 4 et 9 pages. La télévision, les spectacles, les médias et le people étaient vraiment mis en avant et du coup, nous ne chômions pas ! Ensuite, après quelques discussions internes, Christian de Villeneuve est parti et la nouvelle équipe en place a décidé de lancer une deuxième nouvelle formule. Encore une, même pas un an après la précédente… Au même moment, le prix a augmenté et les pages courses (ADN du journal) ont été réduites. De quoi déboussoler le lecteur. Si la maquette était élégante et plus lisible, j’ai été perplexe sur le décloisonnement du chemin de fer. Je crois que la direction n’a pas su positionner le journal. Il fallait en faire un « poil à gratter » et y aller à fond sans en faire du trash comme pouvaient l’annoncer certaines rumeurs.
Coulissesmédias : Le titre était en soins intensifs depuis plusieurs mois. Est-ce que, selon vous, tout a été fait pour éviter de le regarder mourir ?
Loïc Torino-Gilles : Notre patron a investi 70 millions d’euros. Il a cru que l’information pouvait être rentable. Il s’aperçoit que ça ne l’est pas… Je pense qu’à un moment donné, il a été mal conseillé. Aujourd’hui, il arrête le papier parce que ça coûte cher et il a l’impression que l’on peut gagner de l’argent sur le web. Pour moi, c’est une hérésie. Le modèle économique de pure player n’est pas rentable. Puis, lancer ce pari avec une rédaction low-cost est une erreur. Ce sera difficile de faire quelque chose de très ambitieux, d’autant que France-Soir n’est pas une marque forte sur le web. C’est une marque très connue à l’étranger mais en France, elle était assez senior. Alors, imaginez auprès des jeunes…
Coulissesmédias : Est-ce uniquement l’émergence de l’info gratuite sur Internet qui a rongé la santé de France-Soir ?
Loïc Torino-Gilles : Il faut voir plus loin. Il y a la conjoncture d’un côté, la crise de la presse de l’autre. Les gratuits ont fait du mal principalement à la presse régionale. Aujourd’hui, on peut s’informer sans sortir de chez soi grâce à la télé et au Web. L’info est partout. France-Soir est le premier grand journal historique à disparaître et malheureusement, je pense que cela va se poursuivre.
Coulissesmédias : Justement, vous êtes inquiet sur l’avenir de la presse ?
Loïc Torino-Gilles : Je ne suis pas inquiet sur le métier de journaliste car il y aura toujours besoin. Mais, pour la presse quotidienne, ça va être compliqué dans les années à venir. Son avenir se fera sur l’iPad, les tablettes etc… Il faut savoir apporter du contenu interactif et je trouve qu’en France, on est encore un peu à la peine.
Coulissesmédias : Face à l’hémorragie du titre, est-ce que vous vous êtes interrogé sur votre avenir personnel ?
Loïc Torino-Gilles : Je voulais faire trois ans à France-Soir. Je ne l’avais pas caché et j’arrivais à cette échéance dans quelques mois. A présent, j’ai d’autres ambitions. Pas forcément dans la presse écrite et pas obligatoirement sur un rythme quotidien. On verra…
Coulissesmédias : Si je vous demande quelques mots qui pourraient caractériser ces trois années passées au sein de la rédaction de France-Soir…
Loïc Torino-Gilles : Ça a été une aventure formidable ! France-Soir est un journal attachant. Ça restera, pour moi, une PME où il fait bon vivre même pendant les coups durs. C’est une entreprise très passionnée. Les amitiés y sont très fortes. Et heureusement ! Au moment du lancement de la nouvelle formule, j’arrivais à 9h pour repartir à 22h et ce, 6 jours par semaine… C’était un peu ma deuxième famille.
Coulissesmédias : Les pouvoirs publics sont restés muets. Est-ce qu’on ne l’a pas laissé mourir ce journal ?
Loïc Torino-Gilles : France-Soir est mort dans l’indifférence générale. Nous nous sommes battus au maximum. C’est triste de laisser un titre aussi légendaire agonir. Au final, seules les grandes marques resteront. C’est un peu à l’image de notre société. C’est un grand titre historique qui s’en va avec 89 licenciements et un enterrement sans fleurs ni couronnes.
Interview de Mickaël ROIX.
Photos Yoann Bernardini/LGM et France Soir
il est inconcevable de voir un journal partir de cette façon…
Merci de rendre hommage aux journalistes de France Soir qui , hormis G CARREYROU et ses éditoriaux pro sarkozistes et indigestes,ont fait un travail remarquable d’information.
Sans doute France Soir a-t-il souffert de l ‘absence d’une campagne de pub efficace lors de la relance du titre par CH DE VILLENEUVE .