Sonia Devillers : « Je m’étais juré de ne plus jamais faire de journalisme médias mais… »

Auréolée par des taux d’audience qui n’ont jamais été aussi bons à France Inter et armée d’une formation sur le tas, la sémillante et vive Sonia Devillers s’attaque quotidiennement aux sujets de société à travers le prisme médiatique sur France Inter. Portrait d’un poisson heureux dans l’eau du service public.

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Coulissesmédias : Comment votre histoire vous a-t-elle forgée ? Vous avez des origines roumaines et un parcours un peu atypique, cela a-t-il eu une influence sur vous ?

Sonia Devillers : Non, pas du tout. Mes parents avaient un certain culte de l’excellence, notamment scolaire et universitaire. Or, je n’ai eu aucun projet professionnel pendant longtemps. J’étais une bonne littéraire donc j’ai fait des classes prépa littéraires pour intégrer l’ENS, comme le font les bons élèves littéraires. Mais j’ai raté le concours et je me suis inscrite en fac où j’ai fait des études de philosophie, en poussant jusqu’à l’agrégation. Mes parents ne cessaient de me répéter qu’il fallait que je fasse des études fondamentales, pas professionnalisantes. Pendant l’année d’agrég, j’ai abandonné et suis entrée au Figaro. Résultat : mes parents ne m’ont pas adressé la parole pendant un an. Pas parce que j’entrais dans un journal de droite alors que je suis d’une famille plutôt de gauche et lectrice du Monde, mais parce qu’ils étaient terrifiés que j’intègre un métier pour lequel je n’étais pas qualifiée et n’avais pas de diplôme. Donc, mon père m’a dit : « Tu vas faire la vaisselle toute ta vie ! ». Il pensait que n’étant pas diplômée pour ce métier-là, j’entrais comme stagiaire et que j’allais le rester toute ma vie. Mes parents sont architectes ; à leurs yeux, on fait une école d’architecture pour devenir architecte. Pour eux, le fait d’avoir fait de la philo et que j’entre dans un journal me condamnait au stage à perpétuité. Ça a été une longue bataille !

 

C.M. : Vous aviez commencé une thèse sur Bergson…

S.D. : Étant la seule de la famille à ne pas être architecte (ma sœur est également architecte et sculpteur), je pense que je raccrochais un peu les wagons familiaux : en philo, je travaillais sur Bergson mais ça m’aurait passionnée de traiter ce que j’avais fait en DEA [ndlr : actuel master 2] en thèse, à savoir de rapprocher Bergson des questions de l’espace en sculpture. Je souhaitais donc faire le lien entre les sujets qui m’intéressaient énormément en philo et des sujets assez familiaux (sculpture surtout pour moi et architecture pour le reste de ma famille), ce dont je ne me rendais pas forcément compte à l’époque.

 

C.M. : Comment s’est passé ce passage de la presse écrite à la radio ?

S.D. : Au Figaro, je travaillais à la page « médias et communication ». J’étais au Figaro-économie (les pages saumon) où je couvrais les grandes entreprises du marché de la publicité et de la communication. En 2006, Isabelle Giordano a lancé Service Public et elle cherchait quelqu’un pouvant expliquer tous les débats de société liés à la pub au grand public. Le milieu des années 2000 a effectivement vu se tenir de grands débats sur la question. Par exemple, la publicité alimentaire était-elle responsable de l’obésité infantile ? L’image des femmes dans la publicité, la responsabilité de la publicité automobile dans la sécurité routière ou la question d’interdire la publicité à destination des enfants ont aussi été abordées à cette époque. C’est à cette période-là aussi que les anti-pubs se sont mis à arracher et à taguer les pubs, ce qui a donné lieu à des restrictions d’affichage publicitaire dans les centres-villes. Voilà ce qui intéressait France Inter à l’époque. J’ai donc commencé par intervenir une fois par mois et j’ai pris goût au micro et à l’émission. Petit à petit, ce rendez-vous mensuel est devenu hebdomadaire et ma grande chance est qu’Isabelle Giordano m’a permis d’élargir tous les sujets. J’ai donc très rapidement pu faire des chroniques sur tous les sujets de société possibles et pas uniquement les médias et la pub. J’étais extrêmement heureuse de ça.

Ensuite, Philippe Val qui dirigeait alors France Inter, avec son adjointe de l’époque, Laurence Bloch, m’ont confiée la tranche estivale 9h00-10h00 pendant quatre ans. J’avais carte blanche. C’était Le Grand Bain. J’ai adoré avec cette émission car j’avais fait une overdose du journalisme médias ; je ne pouvais plus supporter ça. La chance absolue que j’ai eue avec Philippe Val et Laurence Bloch, c’était cette carte blanche qu’ils m’ont donnée et j’en ai fait une émission de culture et de société pendant laquelle je pouvais aborder des sujets d’une variété infinie, sans aucune limite. C’est vraiment là que j’ai appris le métier. Je n’avais encore jamais interviewé personne à la radio ; je n’avais fait que des chroniques. Philippe Val avait pris un risque incroyable. Il a fait preuve d’une grande liberté dans ce choix. Laurence m’a donc vu grandir depuis mes débuts : chroniqueuse, puis émission d’été, puis le weekend et aujourd’hui la quotidienne. Le Grand Bain a été très important car ça a vraiment été mon école de radio, notamment grâce aux réalisatrices. Elles ont été très formatrices avec moi.

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C.M. : Comment est né L’Instant M ?

S.D. : Toute la grille a changé quand Laurence Bloch a pris les commandes de France Inter en 2014. C’est la chaîne qui a souhaité recréer un rendez-vous centré sur les médias. Je m’étais juré de ne plus jamais faire de journalisme médias mais je voulais travailler… On n’est pas salarié mais payé au cachet en tant qu’intermittent du spectacle. Après tout l’été à l’antenne, je n’avais pas de boulot prévu pour la rentrée. Donc, je me suis bagarrée pour avoir ce créneau, faisant valoir que j’étais une ancienne journaliste médias et que j’avais dix ans de « Figaro médias » derrière moi. J’ai eu une grande chance de pouvoir créer ce rendez-vous sur France Inter en ayant fait tout autre chose à la radio pendant quatre ans. Très naturellement, le sujet a été les médias mais ce qui nous intéresse au fond dans L’Instant M , c’est de raconter notre époque ; pas les médias eux-mêmes. J’ai eu une chance immense de ne pas être passée de la page « médias » du Figaro à l’émission « médias » sur France Inter. Je l’aurais faite avec les œillères du microcosme, comme une journaliste qui parle de son propre métier et de son milieu. Or, ça ne m’intéresse pas du tout. Les médias en eux-mêmes ne m’intéressent pas. En revanche, je trouve que c’est une formidable porte d’entrée pour raconter l’époque. À travers les médias, on peut parler de culture, de politique, d’international, de finance, d’économie, d’idéologie… Bref, de toute la société. C’est ça qui m’intéresse.

 

C.M. : Pourquoi un format court ?

S.D. : Ça a été imposé. Ça a été une immense douleur. Chaque année, j’ai réussi à gagner une minute. Ça n’a l’air de rien mais sur un format court, c’est beaucoup. La première année, l’émission faisait quatorze minutes ; elle en fait désormais dix-huit et trente secondes. Au début, c’était vraiment une souffrance épouvantable. Mais une école incroyable et une école d’efficacité inimaginable. Vraiment.

En fait, le format de l’émission existait il y a longtemps, à l’époque où Nicolas Demorand animait déjà la matinale de France Inter. Le 9h00-10h00 de France Inter était divisé en deux tiers pour la culture (avec Vincent Josse) et un tiers consacré aux médias (avec Colombe Schneck). France Inter a voulu réhabiliter cette formule donc je ne l’ai pas choisie. Pas plus que je n’ai choisi Augustin Trapenard pour Boomerang. Le miracle, c’est que nous nous sommes immédiatement adorés et respectés…

 

J’aime que ça vive, que ça bouge et que la vie rentre dans l’émission.

 

C.M. : Justement, quel est le secret de vos si savoureux passages d’antenne ?

S.D. : Je pense que nous nous aimons et nous respectons vraiment beaucoup. Il s’est passé quelque chose de littéralement magique entre nous. Nous avons tous les deux une manière de faire de la radio différente et nous sommes très différents à l’antenne. Augustin vient d’une école et d’une radio très écrite, très produite et très pensée. Il vient aussi de la télévision donc il aime que son émission soit très séquencée. Il a appris le séquençage à la télévision, au Grand Journal. Il aime que les séquences soient très balisées, se reconnaissent, se répètent et se retrouvent au quotidien. Moi, je viens d’une école de radio (celle d’Isabelle Giordano) où on aime l’improvisation, le naturel et le moins écrit possible. J’aime que ça vive, que ça bouge et que la vie rentre dans l’émission. Nous ne faisons donc pas du tout de la radio de la même manière. En revanche, nous sommes tous deux très exigeants, très angoissés et nous travaillons énormément. C’est là-dessus que nous nous sommes retrouvés. Nous ne nous faisons pas du tout concurrence puisque nos registres sont résolument différents. Et en plus, nous nous aimons beaucoup humainement.

 

C.M. : Vous interdisez-vous certaines choses dans L’Instant M ?

S.D. : Oui, beaucoup de choses. Par exemple, comme je fais une émission sur les médias, je m’interdis de rajouter du buzz au buzz ou du clash au clash. Ce n’est pas parce que l’actualité médiatique est synonyme d’empoignades dans telle ou telle émission que je dois aussitôt faire une émission sur les empoignades. Et encore moins une émission où on s’empoigne sur les empoignades. Ça, je me l’interdis.

Je m’interdis aussi d’inviter des gens que j’aime ou que je n’aime pas pour de mauvaises raisons. Je ne fais pas cette émission pour moi, mais pour ceux qui l’écoutent. Que mon approche soit positive ou critique, il faut qu’elle soit sérieusement argumentée. Il faut qu’il y ait matière à discuter. Je me refuse aux règlements de compte, aux renvois d’ascenseur et autres copinages.

 

C.M. : C’est ce qu’on vous a reproché à tort…

S.D. : Non, je ne crois pas.

 

C.M. : Il y a eu Stéphane Guillon.

S.D. : Ah oui, il racontait n’importe quoi. C’est pour ça que je n’ai pas lâché l’antenne. Quand il a dit que je copinais avec Thierry Ardisson qui m’avait invitée chez lui, c’était faux. Il peut réécouter toutes mes émissions avec Ardisson, il n’y a pas de complicité. Quant à moi, je n’ai jamais mis les pieds ni dans les émissions ni au domicile d’Ardisson.

 

C.M. : Le 8 novembre, Ira Glass évoquait avec vous la proximité entre les auditeurs et le présentateur radio. Qu’est-ce que ça vous inspire ?

S.D. : C’est un truc absolument incroyable ! Je vais prendre l’exemple d’une expérience que nous sommes en train de faire à France Inter. Bruno Duvic [ndlr : qui anime le journal de 13h00] m’a proposé de faire le mois sans tabac. Tous les vendredis, il tient une rubrique « j’ai testé pour vous ». Exceptionnellement, quatre vendredis d’affilée, il a demandé à une voix de l’antenne (en l’occurrence moi qui ai bien voulu être cobaye) d’arrêter de fumer. Ce qui est très difficile pour moi parce que j’étais une grosse fumeuse. Il se trouve que ça a déclenché un déferlement de messages de la part d’auditeurs, auquel nous ne nous attendions pas du tout ; ni moi, ni Bruno, ni la directrice de la rédaction, Catherine Nayl. Nous avons donc été extrêmement surpris. C’est là qu’on voit ce que c’est que la radio… Un simple témoignage d’une expérience que beaucoup de gens ont vécu eux-mêmes, raconté par quelqu’un qu’ils entendent et qui les accompagnent tous les matins, tous les étés ou tous les samedis depuis dix ans, ce lien de proximité et cette personnification de l’information ont déclenché des témoignages bouleversants. Les gens m’appellent « Sonia », me confient des choses intimes, m’encouragent (parfois dans le sevrage tabagique mais aussi parfois dans mon travail). Ils en profitent pour dire comment je les accompagne à la radio, ce qu’ils pensent de l’émission etc. Ils m’envoient des choses de toute la France : des substituts, des traitements homéopathiques, des courriers, des cadeaux… Ça dit tout de ce lien absolument incroyable qui peut se tisser à travers la voix et la présence. Tout simplement, la présence. Nous sommes physiquement là. Nous sommes là pour eux. C’est ce que la voix traduit.

 

La radio est d’abord une expérience du temps et de la durée.

 

_DSC5807C.M. : Quel est votre rapport au temps et aux réseaux sociaux ? Distinguez-vous le temps médiatique de celui du buzz ?

S.D. : C’est drôle parce que, pour commencer, la radio est une expérience extraordinaire du temps. J’ai mis longtemps à réaliser que Bergson, sur qui je voulais faire une thèse, est un philosophe qui a beaucoup réfléchi à ce qu’est le temps et à la différence entre le temps et la durée. La radio est d’abord une expérience du temps et de la durée. Une minute de radio peut parfois sembler très longue et d’autres fois très courte. En fonction de la qualité de ce qu’il s’y dit et de ce qui s’y vit. Certaines fois, ma petite émission m’a parue interminable, de même qu’elle a pu paraître interminable à des auditeurs qui s’ennuyaient. Mais parfois, elle paraît tellement courte ! La radio en elle-même est donc d’abord une incroyable expérience du temps.

Ensuite, il y a effectivement toute la réflexion sur le temps de l’information et le temps médiatique. C’est un problème très difficile à résoudre pour moi qui suis en quotidienne et dont l’émission est réactive et doit constamment être collée à l’actualité. Comment ne pas céder à l’urgence ? Comment faire le tri entre des sujets qui ne méritent pas d’être traités alors qu’ils sont médiatiquement montés ? S’obliger, je dis bien s’obliger à préparer des émissions qui me paraissent « hors actu ». Mais nous, journalistes, gens qui sommes constamment sur Twitter et sur les réseaux sociaux, nous avons une vision totalement déformée. C’est-à-dire que les sujets se périment à une vitesse insensée et complètement stupide. Ce que j’ai fait ce matin (une émission sur la télé italienne ) peut sembler hors actualité. Ce n’est ni le sujet d’hier, ni celui d’aujourd’hui, ni celui de demain. Pourtant, c’est un sujet très important. À un moment, il faut arrêter le calendrier, la course contre la montre du « toujours être dans le sujet du jour » (quand on se dit : « Non. Ça, c’est passé ») pour offrir des sujets de fond et d’analyse aux auditeurs. Des sujets plus intelligents parce qu’on a attendu quelques jours, quelques mois ou quelques années pour en parler. Je vous assure que c’est une discipline difficile. Nous devons nous l’imposer parce que nous courrons contre la montre des sujets qui passent et qui se périment, ce qui est parfaitement imbécile.

 

C.M. : Justement, que pensez-vous de Twitter qui se fonde sur l’immédiateté ? Il n’y a plus de recul…

S.D. : Il n’empêche que c’est une source d’information extraordinaire. Je ne peux me coucher ni sortir de mon lit sans avoir passé une vingtaine de minutes sur Twitter. J’aime particulièrement ce rapport à Twitter le matin au réveil. Je me lève à 5h40. Jusqu’à 6h00, c’est mon moment privilégié, toute seule, dans le noir, sur Twitter parce que je découvre tout ce qui s’est passé aux États-Unis sur les réseaux et dans les médias américains. En vingt minutes, j’ai l’impression d’avoir fait le tour du monde. Du moins des pays dont je comprends la langue. Je peux lire un peu en allemand, en anglais, en italien… Très mal mais c’est sans importance. J’ai pu avoir un aperçu ou une intuition en arrivant au bureau de tout ça. Mais je suis obligée de me coucher tôt puisque je commence très tôt donc je rate toute une partie de la télévision en direct. C’est donc sur Twitter que je vois ce qui a pu se passer la veille au soir sur le petit écran, s’il s’est passé des choses méritant d’être passées, relayées, regardées ou réfléchies. Du coup, le lendemain, je peux regarder en replay. Ça reste une source d’information formidable. En revanche, je m’interdis totalement de m’en servir : le fil Twitter de Sonia Devillers se constitue d’informations factuelles sur l’émission, c’est tout. Jamais de prise de position personnelle. Jamais de réponse. Jamais de polémique. Jamais de like. Jamais de retweet. Chacun fait comme il le souhaite.

 

Les auditeurs sont très bienveillants mais particulièrement exigeants.

 

C.M. : Les taux d’audience de France Inter sont plus que brillants mais, par contraste, que vous inspire le plongeon d’Europe 1 ?

S.D. : Beaucoup de tristesse. Cela m’inquiète énormément mais parce que je pense que dans les gens qui désertent Europe 1, il y a malheureusement des gens qui désertent le média radio. Je trouve cela vraiment inquiétant. Il me semble qu’Europe 1 va finir par manquer dans le paysage radio, pour une catégorie de la population qui n’écoutera jamais France Inter qu’elle juge trop à gauche, qui s’avère beaucoup trop jeune pour écouter RTL et beaucoup trop « cadre sup’ » pour écouter RMC. Il y a là un espace radiophonique qui commence à être déserté par les auditeurs dont certains se retrouvent littéralement orphelins de radio. Les quadragénaires et plus ont la curiosité d’aller écouter d’autres stations mais les plus jeunes n’écouteront malheureusement plus jamais la radio. Je ne donne là aucune leçon à Europe 1. J’ai eu une chance phénoménale d’avoir fait partie de l’équipe de France Inter ces dernières années ! On a été porté par un environnement où priment l’exigence et l’intelligence. C’est rare et ça ne tombe pas du ciel. Notre chance est d’avoir eu une patronne extrêmement stable et qui a tenu la baraque, même quand le PDG de Radio-France a sauté, même quand notre directeur des programmes est parti à la concurrence. Tout le monde ne bénéficie pas d’un cadre aussi stable et aussi solide. Je m’estime vraiment gâtée.

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C.M. : Y a-t-il une voix de radio particulière qui vous a marquée, voire portée ?

S.D. : J’ai démarré la radio sans avoir de culture radio. Dans ma famille, on n’écoutait pas du tout la radio alors qu’à mon sens, c’est une vraie transmission familiale. Donc je ne l’ai pas du tout écoutée enfant. Adolescente, j’ai toujours écouté les radios musicales, plutôt de vieux ! D’ailleurs, je continue et j’adore : je passe beaucoup de temps sur RTL2 et Nostalgie notamment. Donc, non, aucune voix ne m’a portée. En fait, j’ai découvert la radio (et France Inter en particulier) en arrivant à Radio-France. J’ai fait un rattrapage fulgurant. Mais une voix me manque aujourd’hui sur France Inter : celle de Stéphane Paoli. J’adorais sa voix et sa façon d’occuper le dimanche midi (je ne parle pas du Stéphane Paoli matinalier). Pour moi, c’était une vraie leçon : il traitait des sujets d’actualité avec une lecture intellectuelle politique et sociétale très profonde. C’était une manière de s’extraire totalement de l’actualité de la semaine. Des sujets d’actualité et des réflexions indispensables pour penser le monde et la société dans lesquels nous vivons aujourd’hui, tout en n’étant pas l’actualité de la semaine. Sa capacité à prendre du recul et de la hauteur me manque vraiment aujourd’hui dans la grille de France Inter.

Sinon, je pense qu’on n’est pas matinalier pour rien. Moi qui ai travaillé avec Nicolas Demorand et avec Patrick Cohen, j’ai remarqué qu’ils ont tous les deux une qualité exceptionnelle : une voix qui crève les ondes. Exactement comme on dit d’un acteur qu’il crève l’écran. Pourtant, ils ont des registres vocaux, des façons de faire, des personnalités et une manière de faire de la radio très différente mais ça m’a toujours frappée chez les deux. Leur simple « Bonjour ! » attrape physiquement et ne vous lâche plus. Je dois dire que j’ai eu de la chance d’être en studio avec eux.

 

C.M. : Il faut dire qu’avec ce que leur met Daniel Morin…

S.D. : (Rires). C’est vraiment extrêmement fort, à mes yeux.

Sinon il y a un producteur (terme consacré à France Inter) qui continue de me donner des leçons chaque jour depuis dix ans que je suis à France Inter : Matthieu Vidard, qui produit La Tête au Carré, l’émission de sciences à 14h00. Je vois en lui un modèle de radio par ses qualités de calme, de tempérance, de précision dans le travail et en même temps de chaleur vis-à-vis des auditeurs. Il fait quelque chose à la fois de précis, de concis et d’exigeant tout en étant proche des gens. De plus, il réinvente le format de son émission chaque année depuis dix ans : nouvelles formules, nouvelles propositions et nouvelles idées. Il ne s’en lasse jamais ; du coup, nous non plus. Pour moi qui étais la pire des élèves en sciences, cette émission est d’une incroyable générosité parce qu’elle est intelligente et qu’elle rend intelligent. Tout le monde, y compris les cas désespérés comme moi en sciences (rires) ! Donc pour moi, Matthieu est vraiment un modèle de radio.

 

Propos recueillis par Alexandre Huillet-Raffi

 

Photos : Matthieu Munoz pour Coulissesmédias.