Patrick Poivre d’Arvor : « Je me sens libre »

Véritable figure des médias, Patrick Poivre d’Arvor est depuis janvier 2014 à la tête du 19-20h de Radio Classique. Pour Coulissesmédias, il s’est confié sur son émission, sa soif de culture mais aussi les changements subis par les journaux télévisés. Rencontre avec un amoureux du monde culturel qui ne regarde pas dans le rétro.

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Coulissesmédias : Vous avez rejoint Radio Classique il y a un an et demi sur la case du 19-20h. Votre émission est maintenant installée, c’est plutôt bon signe ?

Patrick Poivre d’Arvor : Oui, ça s’est passé plus vite qu’on ne le pensait. On a été assez étonnés de la rapidité avec laquelle ça se passait et de vague de sondages en vague de sondages, on s’est aperçu que ça s’était plutôt bien implanté. J’ai commencé le 1er janvier 2014 donc, on en est à presque deux ans maintenant et on peut considérer que la greffe a bien pris.

 

Coulissesmédias : Cette année, l’émission va être plus centrée sur la culture, comment l’avez-vous fait évoluer ?

Patrick Poivre d’Arvor : J’ai regardé un peu le calendrier politique à venir et autant l’année 2016-2017 va être riche en événements politiques avec les primaires d’abord à droite et puis évidemment la Présidentielle, autant cette saison 2015-2016 me paraît un peu patinée et donc pour éviter de recevoir toujours les mêmes, de reposer toujours les mêmes questions, etc… j’ai souhaité donner plus d’importance à la deuxième partie de l’émission qui est essentiellement culturelle. C’est une offre alternative par rapport à d’autres émissions, d’autres médias et je reçois à peu près deux artistes ou écrivains par soir plus une chronique d’Élodie Fondacci plus une chronique différente chaque soir donc cette deuxième partie culturelle est assez riche. La première partie est plus centrée sur l’actualité, la politique, l’économie.

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« Je vois bien que je n’ai pas la même appétence que naguère »

Coulissesmédias : Ce changement n’est pas lié à une désaffection de la politique par les auditeurs ?

Patrick Poivre d’Arvor : En ce qui me concerne – et Dieu sait si je la suis depuis bien longtemps – je vois bien que je n’ai pas la même appétence que naguère. Ça reviendra obligatoirement, sans doute au moment de la Présidentielle qui est l’élection reine dans ce pays et de laquelle tout découle. Les élections régionales, c’est un problème parce qu’on va vous demander pourquoi vous ne parlez que de l’Île-de-France ? Pourquoi vous ne parlez que du Grand-Est ? C’est compliqué et je préfère donner la place à la culture et je pense que les auditeurs aussi.

 

Coulissesmédias : Parmi les personnalités du monde de la culture, qui aimeriez-vous accueillir dans votre studio ?

Patrick Poivre d’Arvor : Pour l’instant, tous celles que j’ai souhaitées ont dit oui donc je n’ai pas à me plaindre. On a démarré par exemple avec Amélie Nothomb, le lendemain avec Christine Angot, le surlendemain avec Eric-Emmanuel Schmitt. Là, ce soir (le 29 septembre, ndlr) je reçois un bon auteur que j’apprécie, qui s’appelle Alice Zeniter, et je reçois par ailleurs Olivier Py pour un livre mais aussi pour « Le Roi Lear » donc j’essaie de faire des choses très variées.

 

Coulissesmédias : Dans votre émission vous parlez de toutes les facettes de la Culture, dont la gastronomie ?

Patrick Poivre d’Arvor : Ah oui ! La gastronomie, c’est une culture vraiment très française. Ça fait partie de notre pays et la gastronomie racontée par Périco Légasse pour moi, c’est une page de littérature. Je suis très content qu’il ait accepté de venir me joindre tous les mercredis, j’aime cet échange qu’on a.

 

Coulissesmédias : Dans la dernière partie de votre émission, vous recevez un chroniqueur différent chaque soir, c’est une des forces de l’émission ?

Patrick Poivre d’Arvor : Ça me permet de parler des expositions le lundi avec Guy Boyer, le mardi de la discographie, de l’actualité musicale avec Francis Drésel, le mercredi donc de la gastronomie avec Périgo Légasse et puis Bénédicte Épinay le jeudi pour des propositions culturelles pour le week-end.

 

Coulissesmédias : Et toujours « Le Grand Débat » en première partie ?

Patrick Poivre d’Arvor : Je n’ai pas changé les débatteurs qui me sont fidèles et qui passent d’ailleurs sur beaucoup d’antennes. Ils ont été beaucoup demandés et tant mieux, j’en suis content. Geoffroy Didier donc républicain face François Kalfon socialiste, c’est tous les lundis depuis le début, le mardi Jean-Sébastien Ferjou du site Atlantico face à Valérie Lecasble, le mercredi c’est plus économique et en général c’est Eric Leser face à Philippe Dessertine et puis les jeudi, plutôt un duel de femme, Juliette Méadel, porte-parole du PS face à Ghislaine Ottenheimer.

 

« C’est le hasard de la vie »

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Coulissesmédias : Vous aviez commencé en 1971 sur France Inter…

Patrick Poivre d’Arvor : Exactement, j’ai gagné un concours qui s’appelait Envoyé Spécial et c’est comme ça que je suis devenu journaliste. Je pense que si je n’avais pas entendu l’annonce de ce concours, je n’aurais pas participé et je ne serais pas devenu journaliste aujourd’hui. C’est le hasard de la vie.

Coulissesmédias : Vous auriez tout de même été dans le monde de la culture ?

Patrick Poivre d’Arvor : Je crois parce que j’avais déjà commencé à écrire. Mon premier livre, j’avais 17 ans et donc j’ai continué. Mon envie, c’était d’être écrivain et j’ai pu mener les deux de front donc, je suis content.

 

Coulissesmédias : La radio est un média vraiment important pour vous ?

Patrick Poivre d’Arvor : Pour moi, c’est sentimentalement important parce que c’est le média dans lequel j’ai travaillé pendant 3-4 ans au début avec beaucoup de plaisir et puis assez régulièrement je faisais des interventions. J’ai été une vingtaine d’années tous les matins sur RMC, j’ai fait des émissions sur RTL, des émissions longues et des petites participations dans « On refait le monde ». J’ai fait pas mal d’interventions et c’est très plaisant, pas besoin de mettre de cravate.

 

Coulissesmédias : Et maintenant que la plupart des émissions radios sont filmées, il y a la même liberté ?

Patrick Poivre d’Arvor : Oh oui, franchement, ça m’est égal. Je ne me suis jamais occupé de la caméra, elle est là, j’essaie d’être le plus naturel possible. A mon avis, c’est peut-être pour ça que ça marchait bien quand je présentais le journal télévisé, parce que j’essayais d’être naturel. La caméra n’était pas quelque chose qui m’inhibait.

 

Coulissesmédias : Qu’est-ce qui vous a séduit en rejoignant Radio Classique ?

Patrick Poivre d’Arvor : D’abord, comme son nom l’indique, quelque chose de classe, dans un premier temps dans l’équipe, tout à l’heure j’étais avec Claire (Chazal, ndlr) qui y travaille depuis un bon bout de temps tous les week-ends, je viens de passer deux jours avec Alain Duault sur sa croisière où j’ai donné un concert avec Jean-Philippe Collard, je m’entends formidablement bien avec Olivier Bellamy. Ces gens sont de bon niveau, de très haut niveau même et en plus des vrais amis. Je ne ressens pas la vulgarité qu’on peut sentir parfois, hélas, s’immiscer un peu partout dans les médias, surtout la télévision. Deuxièmement, les auditeurs eux-mêmes sont assez exigeants et c’est un vrai bonheur.

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« C’est très agréable de pouvoir approfondir des sujets »

 

Coulissesmédias : Vos auditeurs qui ne sont pas que des amateurs de musique classique, c’est un public assez large ?

Patrick Poivre d’Arvor : Je pense que notre public est, dans le jargon du publicitaire, CSP++, ce sont des gens qui sont assez cultivés, qui n’ont pas envie d’écumer les choses et qui veulent aller plus loin. C’est très agréable de pouvoir approfondir des sujets et non pas seulement les survoler, les effleurer.

 

Coulissesmédias : Vous nous parliez juste avant de Claire Chazal, vous êtes content de la retrouver sur Radio Classique après avoir longtemps travaillé avec elle sur TF1 ?

Patrick Poivre d’Arvor : Quand je suis arrivé elle y était déjà et là on vient de passer un moment ensemble parce qu’elle a enregistré son émission pour samedi prochain (le 3 octobre, ndlr). C’est un vrai bonheur de la retrouver là et TF1 a tort de se priver de ses compétences.

 

Coulissesmédias : Vous avez ressenti la même brutalité que pour votre départ de TF1 ?

Patrick Poivre d’Arvor : Mon départ avait inauguré le règne du tout nouveau patron de TF1 et là, ça le clôture. Il doit être content de ses deux têtes roulées dans la sciure.

 

Coulissesmédias : Le JT de 20h, ce n’est plus la grand-messe ?

Patrick Poivre d’Arvor : Je ne sais pas, je ne suis pas très bien placé pour en parler parce que d’abord je ne fais pas de nostalgie du passé et deuxièmement c’est vrai que je ne regarde plus, pas plus la Une que la Deux, ce n’est pas le problème. Je pense qu’il y a une fragmentation parce qu’il n’y a plus une grand-messe, il y a plein de petites messes qui sont dites de ci, de là dans nombre d’églises différentes. C’est autre chose mais c’est très bien que ça continue parce que c’est une belle institution. Les gens, on le sait, sont très informés autrement maintenant, par d’autres canaux.

 

Coulissesmédias : En juin dernier, sur le « Divan » de Marc-Olivier Fogiel, Claire Chazal, après avoir revu vos mots d’adieu au journal télévisé, avait déclaré ne pas être sûre de réussir son départ. Elle a réussi selon vous ?

Patrick Poivre d’Arvor : Pour tout vous dire, je n’avais pas regardé le journal télévisé depuis sept ans et j’ai voulu regarder ses dix dernières minutes. Je l’ai trouvé très classe.

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« C’est un lent étranglement »

 

Coulissesmédias : Autre départ, autre contexte, autre chaîne également, votre marionnette des « Guignols de l’Info » est une des victimes du grand ménage fait par Vincent Bolloré à Canal+. Quel est votre ressenti ?

Patrick Poivre d’Arvor : Là non plus, je ne regardais pas souvent, je ne regardais même presque pas, pendant que je présentais le journal forcément puisqu’on était frontalement en concurrence, après j’ai toujours essayé d’avoir une distance vis-à-vis d’elle. Ce n’est jamais qu’une marionnette, je l’ai vue seulement quand j’étais invité dans le « Grand Journal » donc je découvrais à ce moment-là les propos qu’on me prêtait. J’ai l’impression que c’était une marionnette assez populaire d’après les échos qui me reviennent mais j’ai toujours dit que je la laissais vivre sa vie et moi je menais la mienne. Je trouve dommage qu’elle nous quitte, puisque apparemment elle va nous quitter mais, pour l’instant, c’est un lent étranglement, on ne l’a toujours pas vue revenir et je pense que si on la revoit ce sera en crypté.

 

Coulissesmédias : Dans une année où la liberté d’expression est mise à rude épreuve, je pense aux attentats de Charlie Hebdo, cette mise en touche des « Guignols » est aussi une atteinte ?

Patrick Poivre d’Arvor : Je crois qu’il ne faut vraiment pas comparer ce qui n’est pas comparable. Charlie Hebdo, on a tous été effarés, sidérés dans le sens premier du terme parce que c’était la barbarie, la sottise qui s’en prend à des caricatures qu’on a le droit d’aimer ou de ne pas aimer. De même, « Les Guignols » on peut les aimer ou ne pas les aimer mais on n’est pas obligé de les regarder et je crois que ça fait vraiment partie de ce qu’on appelle l’esprit français qui existait déjà sous Voltaire. J’aime bien quand chacun peut s’exprimer comme il l’entend et je pense que les gens savent très bien faire la part des choses. Il y a un vrai bon sens français aujourd’hui, je ne me fais pas d’inquiétude là-dessus.

 

Coulissesmédias : Vous allez animer la soirée de la Saint-Patrick le 12 mars au Palais des Congrés. Pourquoi ce choix ?

Patrick Poivre d’Arvor : Parce que je m’appelle Patrick, tout simplement, et que j’ai toujours aimé cet esprit celte, pas uniquement les Bretons mais aussi les Gallois, les Écossais, les Galiciens, les Celtes dans leur ensemble.

 

Coulissesmédias : Vous faites également des lectures de texte, vous avez donnez un récital, … Vous êtes un boulimique de travail ?

Patrick Poivre d’Arvor : J’aime ça et puis à partir du moment où ça s’est arrêté pour moi, il y a sept ans, je me suis dit que je ne referai jamais la même chose mais qu’il y avait plein de choses que je voulais découvrir. C’est ce que j’ai fait et j’ai mis en scène quatre opéras, j’ai écrit le livret de l’un d’entre eux, j’ai du écrire une dizaine de livres, j’ai fait beaucoup de récitals, j’ai fait des lectures de poèmes avec Jean-Philippe Collard, j’en ai fait un avant-hier soir (le 27 septembre, ndlr) au large d’Athènes et on va continuer samedi soir (le 3 octobre, ndlr) à Clermont-Ferrand. J’ai aussi une émission sur France 5 qui s’appelle « Une maison, un artiste » qui revient régulièrement depuis cinq ans maintenant tous les étés, à raison de dix numéros.

 

Coulissesmédias : Être plus souvent à la télévision, dans un talk culturel par exemple, cela vous intéresserait ?

Patrick Poivre d’Arvor : S’il y avait cette possibilité, oui, mais pour l’instant on ne peut pas dire que ça pullule beaucoup sur les chaînes, on est plutôt beaucoup aux batailles de confettis et aux nez rouges. C’est un peu dommage mais c’est comme ça, en attendant je suis très heureux ici et je peux dire que j’assouvis ma soif de culture en faisant cette émission. 

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« J’ai envie d’avoir ma pleine liberté »

 

Coulissesmédias : Votre frère, Olivier, a été pendant cinq ans dirigeant de France Culture, c’est une mission qui pourrait vous tenter ?

Patrick Poivre d’Arvor : Non, à une époque peut-être mais vraiment aujourd’hui non. J’ai envie d’avoir ma pleine liberté. J’ai goûté à la liberté et j’aurais du mal à la troquer, même pour un titre ou une fonction très prestigieuse.

 

Coulissesmédias : Vous ne voulez pas vous engager sur le long terme ?

Patrick Poivre d’Arvor : J’aime bien l’idée de pouvoir à tout moment avoir ma liberté, c’est important. Pendant 29 ans, j’ai présenté tous les soirs à la même heure le JT, huit ans sur la Deux, 21 ans sur la Une donc je suis content de ne pas avoir de licol.

 

Coulissesmédias : Ce départ du JT de 20h vous a libéré ?

Patrick Poivre d’Arvor : Oui, ça m’a d’une certaine façon libéré. J’étais bien, j’adorais ce métier profondément mais je n’aurais jamais fait ça à n’importe quel prix. A partir du moment où je sens qu’il y a une bride qu’on essaie de m’installer – ça m’était arrivé une première fois quand je suis parti de la Deux – il ne faut jamais continuer.

 

Coulissesmédias : Vous êtes depuis plus de quarante ans maintenant dans le monde des médias, quel est votre secret pour durer ?

Patrick Poivre d’Arvor : Il y a la passion, ça compte beaucoup, l’enthousiasme aussi, aimer partager les choses. J’aime beaucoup partager les choses, quand je viens de lire un livre, j’ai tout de suite envie de le partager avec les auditeurs, les téléspectateurs et ça, ça aide déjà. Après, je ne sais pas, peut-être de la chance, peut-être aussi que j’ai beaucoup bossé mais j’aime bien quand ça ne se voit pas.

 

Coulissesmédias : Quelle est votre préoccupation essentielle aujourd’hui ?

Patrick Poivre d’Arvor : Comme à peu près tout le monde, être heureux, être heureux et me concentrer sur l’essentiel. Il m’est arrivé des événements douloureux dans ma vie personnelle et ils m’ont permis d’étalonner les choses donc, ça, c’est très important, d’aller à l’essentiel et d’essayer d’être soi pour qui le veut.

 

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« On ne se sent pas dans une prison »

 

Coulissesmédias : Vous êtes heureux sur Radio Classique ?

Patrick Poivre d’Arvor : Oui parce qu’on arrive ici, on rentre comme dans un moulin, des notes de musique classique s’échappent, c’est très agréable. On ne se sent pas dans une prison.

 

Coulissesmédias : C’est une liberté qui ne se retrouve pas dans d’autres médias ?

Patrick Poivre d’Arvor : Je ne sais pas, on ne peut pas comparer, j’ai été très heureux quand j’étais sur RTL, j’y ai passé de bons moments. Là, c’est sûr qu’il n’y a pas la même pression et ce, pour des tas de raisons.

 

Coulissesmédias : Vous avez des projets en cours actuellement ?

Patrick Poivre d’Arvor : Je viens de sortir un roman qui s’appelle « Un homme en fuite » et puis avec mon frère, un livre dans la collection « Bouquin », « L’Odyssée des marins » qui raconte tous les grands marins de l’Antiquité. Il y a aussi « Rapaces », un livre de poche qui raconte avec des clés les coulisses du monde des médias et puis un très beau livre de photos sur Paris qui arrive à la mi-novembre, « Paris Panoramique ». Sans oublier d’autres livres sur lesquels je travaille en ce moment.

 

Coulissesmédias : Vous voyez-vous, un jour, quitter le monde des médias ?

Patrick Poivre d’Arvor : J’en suis déjà parti et je n’en suis pas malheureux. Enfin, j’en suis parti, je m’en suis éloigné disons.

 

Coulissesmédias : Et arrêter complètement ?

Patrick Poivre d’Arvor : Je ne le ferai jamais à n’importe quel prix. On me propose tous les jours des émissions, des formats, c’est très gentil, j’y suis très sensible mais je veux que ça me corresponde, sinon, je ne fais pas.

 

Propos recueillis par Antoine Rogissard
Avec Mickaël Roix.