Après avoir subi quelques revers dans les sondages de Médiamétrie, France Info modifie 95% de sa grille et propose une offre enrichie de son concept tout-info. Pierre-Marie Christin, directeur de France Info est notre invité.
Coulissesmédias : Comment se porte France Info ?
Pierre-Marie Christin : Depuis la rentrée, on est tous très excités parce que c’est une rentrée avec beaucoup de nouveautés et de changements. On verra la suite mais en tout cas, cela ressemble à ce que l’on avait envie de faire. Pour le moment, on est plutôt en forme et content.
Coulissesmédias : Côté audience, France Info a enregistré une petite baisse ces derniers mois. A-t-elle provoqué de l’inquiétude ?
Pierre-Marie Christin : Il faut parler franchement. Il y a une baisse tendancielle depuis un moment. Je ne vais pas chercher des explications qui ressembleraient vraisemblablement à des excuses. Fondamentalement, je veux partir de l’idée que si on nous écoute moins, c’est peut-être parce qu’on n’offre pas ce que les gens attendent sachant qu’on a quand même encore un bon socle. Il est évident que nous sommes dans un monde totalement nouveau. L’offre de France info qui était extrêmement novatrice et même pendant longtemps unique, celle du tout info, est aujourd’hui dans un univers de concurrence qui est très fort et multiforme. Et, elle provoque le nouveau comportement des gens. On a vécu pendant très longtemps dans un monde où il fallait aller chercher l’information, il fallait acheter un journal, choisir un journal à la télévision à des heures précises et pas à d’autres, il fallait écouter la radio à des moments précis… Tout cela est terminé. Tout vient à vous même si on ne veut pas. Toute une génération n’a même plus recours aux médias traditionnels et va directement sur les écrans multimédias. Ce n’est pas du tout une catastrophe pour nous parce que notre chance, c’est d’être une maison jeune. France Info n’a que 25 ans et a toujours baigné dans l’innovation. Donc, nous allons nous adapter à tous ces changements et nous allons offrir autre chose en plus de ce que nous pouvions offrir. Surtout pas en moins, ni « à la place de ». Nous avons une démarche d’enrichissement et d’offre de propositions.
Coulissesmédias : Ces changements seront-ils faciles à installer ? On sait tous que France Info a cette image de « radio d’alerte ». Les auditeurs viennent souvent chercher l’information sans rester longtemps à l’écoute…
Pierre-Marie Christin : Si c’était facile, ce ne serait pas intéressant. On garde effectivement ce nerf de la radio. La structure de l’antenne n’a pas changé. Vous avez, comme toujours sur France info, tous les quarts d’heure des titres et chaque demi-heure un journal. Ce service continuera d’être rendu pour livrer de l’information au plus vite et au mieux. En revanche, je pense que cette offre d’information multiforme est un peu subie parfois. Vous êtes désormais informés, sans le demander, avec des faits bruts qui ne s’adressent pas forcément à votre intelligence ou à votre soif de connaissance parce qu’elles arrivent façon coups de poing, avec des titres très courts…Tout cela créé une espèce de brouillard finalement. Plus il y a d’infos et moins il y a de connaissance de l’information parce qu’on reçoit de toutes parts la même information à une course qui se joue maintenant à la seconde. Et on ne sait pas si elle est importante ou pas. Il y a de tout dans les alertes ! C’est pour cette raison que nous allons presque dans le même temps donner l’information et le sens de l’information. Pour y parvenir, il faut cette puissance du service public parce qu’il faut des équipes, du savoir-faire et de la volonté : cela coûte cher, cela demande des moyens et du temps. Il n’y a qu’ici que nous avons tout cela. Ailleurs, on n’a pas toujours cette force et cette capacité de livrer l’info en temps réel.
Coulissesmédias : Et pour réussir, vous avez modifié les formats ?
Pierre-Marie Christin : Nous avons créé des formats plus longs ainsi que des ruptures de rythme. Nous avons cassé cette périodicité extrêmement mécanique. Je dois dire que ce travail a déjà été bien amorcé par mes prédécesseurs Philippe Chaffanjon et Patrick Roger. Je ne fais qu’aller au bout de leur démarche. Je la pousse jusqu’à la limite et au-delà si possible. Nous franchissons actuellement une nouvelle étape avec la création de grands journaux. Il y a des moments dans la grille où on prend une demi-heure (12h, 18h, 22h30). On se donne le temps. Et puis, on essaie d’ouvrir des portes et de proposer des idées. Il y a un grand désarroi devant l’état du monde et devant l’avenir. On ne sait pas très bien où on va. Du coup, nous avons instauré des rendez-vous avec des gens qui y réfléchissent. C’est le cas notamment du rendez-vous d’Olivier de Lagarde qui va chercher des gens qui ont réfléchi à ce qui est en train de se passer, à ce qui peut arriver, qui vont chercher des idées auprès de gens qui sont passés au delà de la crise, et qui ont déjà surmonté ça pour en tirer l’avantage et préparer autre chose. C’est cela aussi notre mission. Et puis, je veux mettre en valeur quelque chose qui existait déjà : la richesse et la générosité de France Info. Nous sommes la radio qui est permanence sur le terrain, mais également, la radio des modes de vie, de la vie quotidienne, de la vie au travail, le bien-être, la gastronomie, la famille, la culture, le cinéma, les séries, les comédies musicales, la musique… C’est une offre qui existe sur France Info mais ça ne se sait pas forcément. Il faut que ça se sache.
Coulissesmédias : Le fait d’accorder plus de temps à l’analyse et au décryptage, ce n’est pas aller davantage sur les plates-bandes des généralistes ?
Pierre-Marie Christin : Les radios généralistes font ce qu’elles veulent et nous aussi. Les matinales reposent désormais sur du tout-info. Chacune le fait à sa façon, avec sa propre rythmique. Je pense que ce sont plutôt les généralistes qui nous ont copiés.
« Ma volonté, c’est de faire la meilleure information et de mieux l’incarner. »
Coulissesmédias : En cette rentrée, il y a plus de femmes sur l’antenne. C’est pour marquer votre différence ?
Pierre-Marie Christin : Je n’ai pas choisi des femmes, j’ai choisi des journalistes. J’ai cherché dans Radio France et dans France Info qui étaient les gens qui pouvaient faire ce que j’avais envie de faire : une information professionnelle avec des gens ayant une expérience de terrain, un regard, et qui soient capables d’incarner l’information en apportant à la fois cette façon de s’adresser aux gens avec une rigueur irréprochable. Il s’est avéré que cela touchait davantage les femmes. C’est un pur hasard car à aucun moment, je n’ai eu cette volonté de « faire un coup » en privilégiant les femmes au micro. Ma volonté, c’est de faire la meilleure information et de mieux l’incarner. Et si vous regardez bien la grille dans son ensemble, il n’y a pas que des femmes.
Coulissesmédias : Le maître mot au cœur de votre stratégie pour faire avancer France Info avec son époque, c’est lequel ?
Pierre-Marie Christin : On avance qu’en restant soi-même. Il faut que l’on reste ce que l’on est : une radio exigeante. Aujourd’hui, le climat économique est difficile et le rapport entre la presse et les citoyens/auditeurs/téléspectateurs n’est pas forcément excellent, il y a une tentation de faire faire l’information par les gens. Ça ne coûte pas cher mais ça a ses limites. Ce n’est pas notre choix. Nous avons choisi d’être sur le terrain, dans le réel car c’est le cœur de notre métier. L’autre tentation, c’est de délivrer des messages de vérité en réunissant des gens qui sont supposés penser et vont donner leurs opinions ou nous dire « ce qu’il faut en penser ». Chez nous, on leur donne la matière qui va leur permettre de penser ce qu’ils veulent. Nous ne cherchons pas à délivrer des vérités. Notre mission est de décrire la réalité.
C’est le socle inattaquable de France Info. Après, il faut que notre radio change sa manière de faire en s’adressant davantage aux auditeurs, qu’elle prenne plus conscience qu’elle parle à des gens. La magie de la radio, c’est le seul média de l’intime. C’est toujours une seule personne qui parle à une seule personne. Il ne faut jamais oublier cela.
Coulissesmédias : France Info ne le faisait plus ?
Pierre-Marie Christin : Non. France Info était une magnifique machine à délivrer de l’information. Mais, depuis quelques années, les équipes font l’effort de travailler sur la façon dont elles délivrent cette information. On ne délivre pas que de l’horreur et des malheurs. Il doit y avoir un plaisir à comprendre l’information.
« J’aimerais que les gens viennent ou reviennent vers France Info et soient surpris. »
Coulissesmédias : L’appellation « robinet à infos », elle vous déplaît ?
Pierre-Marie Christin : Oui parce que ce n’est pas vrai. Il faut écouter pour voir. J’aimerais que les gens viennent ou reviennent vers France Info et soient surpris. La base de la connaissance, c’est la curiosité, la surprise et l’étonnement. A nous de susciter tout cela. Et je pense que depuis la rentrée, cela s’entend ! Il y a un vrai bonheur à communiquer, à créer des liens et à s’adresser à des gens.
Il y a le plaisir de l’auditeur mais aussi celui des journalistes de France Info à faire ce qu’ils font et de cette manière. Cela doit s’entendre. Et c’est le cas.
Coulissesmédias : France Info n’aurait-elle pas raté quelque chose face à l’explosion d’Internet et des nouvelles manières de s’informer ? Est-ce qu’elle ne se croyait pas un peu inattaquable ?
Pierre-Marie Christin : Je ne regarde pas derrière. Je crois en cette maison. Je crois fondamentalement qu’elle est vraiment plus qu’utile et indispensable dans ce brouillard d’informations voire ce spectacle d’informations que l’on voit quelques fois. Vraiment, il faut que ça continue. Nous avons un service à rendre et nous avons le plaisir de le rendre.
« Nous n’avons peut-être pas toujours pris le vent dans la bonne direction mais nous sommes toujours là ! »
Coulissesmédias : Mais, vous avez fait un état des lieux dès votre arrivée…
Pierre-Marie Christin : Oui, et du coup, on a changé. Avancer avec les gens et avec son temps. Si vous regardez les radios tout info dans le monde, vous n’en trouverez aucune qui est au niveau de France Info. Cela n’existe pas. Aux Etats-Unis, vous trouverez du tout info local avec de l’information de très grande proximité (du fait-divers, du service et surtout de la météo et de la circulation). Et puis, il y a des radios de tout-info internationales : la Deutsche Welle chez les Allemands, la BBC des Anglais. Mais des radios nationales de tout-info à notre niveau, cela n’existe pas. Donc, cela veut bien dire quelque chose. Nous n’avons peut-être pas toujours pris le vent dans la bonne direction mais nous sommes toujours là !
Coulissesmédias : France Info offre également plus de contenus sur le Net…
Pierre-Marie Christin : Nous allons encore faire évoluer notre offre avec un nouveau site plus ergonomique et il y aura aussi sous peu de nouvelles applications mobiles. Nous avons commencé à marier les deux médias. Il y a des chroniques qui sont bi-médias. C’est le cas d’une chronique sur l’art animée par Antoine Leiris qui fait découvrir un tableau par des visiteurs. Ce sont les visiteurs qui doivent faire deviner le nom du tableau en décrivant leurs impressions, leurs sensations à l’auditeur. Au même moment sur internet, des étudiants des Beaux-Arts dessinent, esquissent le tableau. Par le dessin, les gens peuvent deviner quel est ce tableau. Jérôme Colombain fait sa chronique à la radio et en vidéo sur le site. Et les auditeurs sont de plus en plus sollicités pour poser leurs questions via les Tweets ou les échanges par le biais du site ou des réseaux sociaux afin d’approfondir des sujets à l’antenne.
Coulissesmédias : Allez-vous céder à la mode de la radio filmée ?
Pierre-Marie Christin : Je ne dirai pas que c’est une mode. C’est une tendance, une évolution. Je continue à penser que l’on n’a pas besoin de mettre une caméra devant quelqu’un qui parle dans un micro mais si des gens aiment regarder ça, pourquoi pas ? Mais, nous allons le faire à notre manière. Notre démarche, c’est de donner un sens en essayant de savoir ce que nous pouvons apporter de mieux au service des gens. Nous apporterons en plus ce que le support de l’écran peut donner, avec des cartes, des itinéraires de nos reporters, éventuellement de la vidéo qu’il aura tournée, des images, des liens, de l’infographie. Une fois de plus, ce sera de l’info enrichie.
Coulissesmédias : La radio en elle même, en tant que média traditionnel, elle a encore une belle marge de progression ?
Pierre-Marie Christin : Il faut remarquer la résistance de la radio. C’est quand même fascinant de voir que près de 85% des gens écoutent une radio. C’est énorme. Surtout quand on nous annonce depuis près de vingt ans la fin de ce média. Et, c’est vrai qu’il y a des difficultés. L’usure touche aussi bien les musicales que les généralistes mais, elles rebondissent à chaque fois. Donc, il y a quand même quelque chose dans la radio qui est unique, sans doute ce rapport très intime. C’est le seul média qui n’a pas d’intermédiaire. Il n’y a pas d’écran, pas de papier, c’est gratuit, ouvert à tout le monde et qui est par essence démocratique et égalitaire. La radio va continuer à vivre parce qu’elle va s’enrichir et la différence, c’est que l’oralité ne s’exprimera plus forcément à travers un transistor. Elle va considérablement se développer sur des supports différents et ce sera toujours de la radio.
Coulissesmédias : En terme d’audience, vous visez combien ?
Pierre-Marie Christin : Le plus possible !
Coulissesmédias : Combien de temps vous donnez-vous pour vérifier si ces changements, ces ajustements sont les bons ?
Pierre-Marie Christin : Il faut demander à mon patron combien de temps il me donne. C’est un changement en profondeur qui touche le ton, les formats tout en gardant les fondamentaux. Donc, il faut quand même nous accorder un peu de temps. Et, il y a une image de France Info qui reste persistante et que nous devons surmonter. Il faut que les gens viennent jusqu’à nous. S’ils viennent et qu’ils écoutent, ils vont vite se rendre compte que ça change.
Coulissesmédias : A titre personnel, aviez-vous imaginé toute la difficulté à faire évoluer une radio comme France Info ?
Pierre-Marie Christin : Je savais que ce serait difficile. Il faut du temps mais je crois que l’époque attend ça.
Et pas seulement de France Info. On s’est un peu enivré de cette explosion de l’offre notamment depuis les Jeux Olympiques et l’élection présidentielle. Les gens ont pris conscience qu’il y avait de nouveaux médias. Je l’ai senti. A présent, il y a un besoin, une attente d’autre chose. Les gens ont compris que l’information était facile à obtenir mais ils ont besoin de plus que ça. Je suis convaincu que nous sommes dans le bon tempo.
Coulissesmédias : De quelle manière avez-vous perçu la saison précédente ? Elle vous a semblé difficile ?
Pierre-Marie Christin : Oui, c’était difficile bien sûr parce que nous étions en train de préparer tous ces changements. Nous savions qu’il fallait les faire.
Coulissesmédias : Quels seront vos prochains chantiers ?
Pierre-Marie Christin : Le numérique avec la nouvelle application qui sera accessible avant la fin de l’année, notre site, un nouvel habillage. On aura tout changé avant la fin de cette saison 2013/2014.
Coulissesmédias : Nous entrons dans une grande période politique, j’imagine que vous allez développer d’importants dispositifs ?
Pierre-Marie Christin : Effectivement, nous envisageons de grands rendez-vous autour des municipales et des européennes. Dans un autre domaine, il y aura les Jeux-Olympiques de Sotchi. Et puis, l’inconnu. Et je crois que, notre grille avec des plages plus grandes, permettra de bousculer plus facilement notre antenne sans être obligé de la bousculer intégralement. Nous pourrons adopter un temps en fonction de l’importance de l’événement tout en créant des rendez-vous.
Propos recueillis par Mickaël ROIX.
Photos: Christophe Abramowitz/Radio France.
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