En poursuivant notre tour de la planète médias, nous allons nous rendre dans l’autre pays du fromage, le pays qui a inventé la télé-réalité et qui continue à en faire ses choux gras: la Hollande.
Par Cyril Fussy
Notre guide dans ce reportage sur la naissance et la vie de la télé-réalité aux Pays-Bas s’appelle Yildiz Siskens (en photo ci-dessus), charmante jeune assistante de production, pétillante blonde aux yeux verts, qui a travaillé sur de nombreux plateaux, notamment aux côtés de John de Mol, le milliardaire de la télé-réalité. Le pari de la télé-réalité était osé, génial, infamant avec son côté voyeur: c’est le jackpot lorsque le huis-clos sous caméras Big Brother apparaît pour la première fois sur les écrans hollandais en 1999. En France, on connaîtra la version Loft Story de Big Brother, durant la saison printemps-été 2001 sur M6, sous l’impulsion de Stéphane Courbit qui a su redonner un souffle à la maison de production Endemol (jusqu’en 2006), lâchée par John de Mol après son rachat par l’Espagnol Telefonica. [NB: Stéphane Courbit avait commencé sa carrière avec Christophe Dechavanne comme producteur de « Coucou, c’est nous! » et de « Combien ça coûte? »]
La chaîne hollandaise Veronica se lance dans l’aventure Big Brother dès 1997 avec une société de production toute jeune née de la fusion des productions indépendantes de Joop van den Ende et surtout, d’un certain John de Mol. Ende-Mol, deux noms qui vont bouleverser tous les paysages médiatiques mondiaux au moins pour la vingtaine d’années à suivre… En 2011, Endemol était présente dans 22 pays! On ne compte plus les nouveaux magazines qui se sont créés uniquement nourris des potins de la télé-réalité.
11 ans plus tard: The Voice
Une moyenne de 37,9% de part d’audience, plus de 9 millions de téléspectateurs, en France c’est le carton de la dernière émission de télé-réalité dont tout le monde a entendu parlé: The Voice. D’où vient cette voix? Des Pays-Bas, évidemment serait-on tenté de rajouter. Plus exactement du génie du genre, l’infatigable John de Mol, le pape de la télé-réalité. Le paysage médiatique en Hollande est dominé par les émissions de télé-réalité qui se livrent une féroce concurrence. Si vous trouvez qu’en France il est difficile d’échapper à une émission de télé-réalité quand on allume son écran plat, imaginez en Hollande où les chaînes comme RTL 4, Veronica et SBS 6 imposent régulièrement les émissions de télé-réalité en prime time. RTL 4 est une des chaînes les plus regardées dans le pays. La chaîne commerciale généraliste luxembourgeoise qui émet spécifiquement pour les téléspectateurs néerlandophones appartient à RTL Groupe. Et qui en possède plus de 26%? John de Mol, actionnaire majoritaire de Talpa, la société de production qu’il créa après avoir vendu ses parts d’Endemol. Les autres parts de RTL Groupe sont aux mains du géant allemand Bertelsmann. SBS 6? La nouvelle chaîne du câble appartient à 33% à Talpa. Veronica et NET 5 sont les deux autres chaînes du groupe formé par la holding finlandaise Sanoma et par Talpa. [NB: Sanoma opère depuis Helsinki dans une vingtaine de pays; la holding finlandaise, l’un des plus puissants groupes de presse européen (dans le Top 5), emploie plus de 15’000 personnes et annonçait en 2010 un chiffre d’affaires de plus de 2,7 milliards.]
Yildiz Siskens a 22 ans lorsqu’elle envoie à tout hasard son CV de danseuse professionnelle à Blue Circle, la division hollandaise de FremantleMedia, filiale de RTL Groupe, et sérieuse concurrence pour Talpa (Pour l’anecdote, « talpa » signifie « taupe » en latin…). Blue Circle a notamment sorti la version originale de « L’amour est dans le pré », l’autre gros carton télé-réalité en France. Blue Circle c’est encore le célèbre « X-Factor » et aussi « Total Blackout », une sorte de Fort Boyard sadique qui se passe dans le « noir total »… Un entretien réussi vaut à Yildiz une place de stagiaire sur la première saison de « Take me out » (invite-moi) en 2009. L’émission en est maintenant à sa 3e saison. Le principe est simple: 30 filles attendent que s’ouvrent les portes d’un ascenseur dans lequel patiente un prétendant. Une à une elles peuvent choisir de garder le mâle ou d’appuyer sur le bouton pour le faire redescendre dans la honte de ses désillusions afin que se présente un autre Roméo, peut-être plus charmant… ou pas… « C’est terrible comme certaines de ces filles peuvent être stupides », avoue Yildiz avec un zeste de cruauté. Castings, briefings, rédaction des scripts, changements de dernière minute, tous les ingrédients de la sauce télé-réalité sont employés pour que le téléspectateur s’agite devant son écran au détriment des victimes consentantes. Nous avons échappé à ce show pour l’instant, mais d’autres sont venus s’imposer, dont tout récemment The Voice.
Quand sort « The Voice of Holland » (La Voix de Hollande) en 2010, le dernier bébé de John de Mol réalise de très bons scores d’audience. Mais personne d’autre dans le monde ne semble très convaincu, comme le montre un article pris au hasard (cliquez ici) dans lequel vous apprécierez la performance du tout premier candidat en vidéo. Il se dit partout que le genre télé-réalité s’épuise, que le télé-crochet ce n’est pas nouveau, etc. On cherche des pistes aux Etats-Unis, on se demande par quoi pourra-t-on remplacer la télé-réalité… Raté, The Voice a été vendu dans une quarantaine de pays à ce jour! L’un des plus gros scores d’audience dans le PAF! « Aujourd’hui John de Mol travaille à 101% sur The Voice, mais aussi sur ses chaînes de télé », confie Yildiz. « C’est un homme insupportable au travail, perfectionniste et très agité, mais un génie de la télé et surtout un amour hors des plateaux », ajoute-t-elle, légèrement admirative pour un pur homme de spectacle. Durant trois ans il a connu une aventure avec une chanteuse de Girl’s Band (Luv’) Marga Scheide. Aujourd’hui marié à l’actrice et chanteuse Willeke Alberti, ils ont deux enfants, Johnny et Linda, qui sont dans le monde du spectacle également (tous deux acteurs et présentateurs). Une vraie famille d’artistes et de pros de l’audiovisuel. Sur le site internet de Talpa Media Holding (http://www.talpa.tv/), toutes les « news » consacrent le succès international de The Voice…
Et après?
Alors, dans un paysage audiovisuel en crise, où Endemol se démène tant bien que mal face à la concurrence de Fremantle et de Talpa, que nous réserve la télé-réalité? S’essouffle-t-elle, comme on aime le croire depuis plusieurs années? « En tous cas pas en Hollande », reconnaît Yildiz, fervente spectatrice, « où les shows de télé-réalité peuvent frôler les 70% de part d’audience », le rêve de tout producteur. « Mais la crise est partout et les productions préfèrent engager 6 stagiaires que de payer un temps plein », avoue-t-elle. Verra-t-on en France des adaptations de « Total Blackout », où les candidats plongent dans le noir total avec des requins (sans le savoir, bien sûr) ou sont engagés à reconnaître l’odeur, non pas d’un fromage, mais d’un… anus? (voir un article et une vidéo ici) La Hollande, si vous vous souvenez, c’est aussi le pays où l’on a fait croire qu’une émission de télé-réalité filmerait une transplantation rénale en direct, simplement pour faire un buzz pour la promotion du don d’organe. D’autres idées un peu glauques sont venues alimenter les dépêches du monde entier: cannibalisme, télé-réalité chez les sans-papiers (gagner 4’000 euros pour rentrer dans son pays…), etc. Il n’est pas certain que le goût du public hollandais soit adapté à tous les pays, dont la France. C’est peut-être là encore tout le génie d’un John de Mol, qui a préféré tabler sur le télé-crochet version moderne, et qui a réussi son pari tout en poursuivant son incroyable succès dans le monde impitoyable de la télé-réalité. Devenu milliardaire depuis Big Brother et ses multiples licences, il est dans le top 500 des plus grandes fortunes du monde classées par Forbes.
« Les gens ont besoin d’une télé plus simple, plus abordable », pense Yildiz. Si l’on en croit les records d’audience de « L’amour est dans le pré » ou de « The Voice », on veut bien la croire. Il reste cependant que le pourcentage de téléspectateurs est en baisse, notamment au profit d’Internet. Alors, le téléspectateur est-il vraiment si bêta? Ne regrette-t-il pas « Les dossiers de l’écran » ou les émissions de Bernard Pivot, les débats houleux animés par le regretté Michel Polac, « Les enfants du rock », etc.? « Un show comme Take Me Out diffuse 60 épisodes par saison », reconnaît Yildiz. « Total Blackout, qui est une petite production, occupe 50 personnes sur le plateau, 7 au bureau et une dizaine d’autres en post-production à temps plein », poursuit-elle. Tous ces shows télévisés font partie d’une gigantesque industrie, qui emploie beaucoup de monde et qui n’a pas dit son dernier mot. Yildiz, qui rêve de devenir présentatrice, semble avoir fait son temps dans ce monde à part. A 25 ans, actrice et diplômée d’une école d’arts, elle s’apprête à travailler avec un One Man Show très populaire en Hollande qui tente un come-back, Javier Guzman.
« Avec la crise, les productions veulent travailler avec des équipes de stagiaires dirigées par une seule personne très compétente et expérimentée », constate Yildiz. En France, c’est la chaîne de la TNT NRJ12 qui tente le gros pari de la télé-réalité à la rentrée 2012 pour booster son audience, surtout jeune, avec comme objectif de dépasser W9 ou Direct Star. Les Anges de la Télé-Réalité (5), L’Île des Vérités, Hollywood Girls (2) et saison 9 de la Star Academy accompagneront la venue de Jean-Marc Morandini (qui quitte Direct 8) aux côtés de Cauet et de Mustapha El Atrassi dans leurs talk-shows respectifs. Direct 8 annonce reprendre « Nouvelle Star » à la rentrée. L’hebdomadaire de TF1 Secret Story 6 maintient des parts d’audience fluctuant de 15 à 20 % environ, soit entre 1,5 et 2 millions de téléspectateurs selon les derniers sondages Mediametrie Mediamat, dont plus de la moitié ont entre 15 et 24 ans. C’est moins bien que la 23e saison de Fort Boyard qui réalise un peu moins de 25% de parts de marché avec moins de 3 millions de téléspectateurs, alors que des émissions plus sérieuses comme Capital, sur M6, peuvent atteindre des pics d’audience à 4 millions de téléspectateurs juste avant 23 heures. Le pari sera-t-il gagnant? Le téléspectateur veut-il encore plus de télé-réalité, comme en Hollande, où le public ne semble pas s’en lasser? Aux Etats-Unis les audiences de la télé-réalité étaient en chute cet été, déjà bien avant le début des Jeux Olympiques.
(Vous êtes bien sûr cordialement invités à laisser votre opinion en commentaires…)
Ou puis je voire l’émission de « Moi, Jean-Charles I Roi de l’Espagne »?
Réalisation de TV3 France. du Févrien, 15, 2016.
Merci.