Jean-Baptiste Bergès : Sa rencontre avec Menie Grégoire

Ce fut la pionnière de la libre antenne. Pendant 15 ans (de 1967 à 1982), Menie Grégoire a confessé des millions d’auditeurs sur l’antenne d’RTL. Son émission reste encore aujourd’hui l’une des plus écoutées de l’histoire de la radio Française. Un an après son décès, un livre hommage retrace sa carrière sur les ondes. Son auteur, Jean-Baptiste Bergès (bien connu des lecteurs de Coulissesmédias) a pu la rencontrer dans les derniers instants de sa vie. Par le plus grand des hasards, ils sont devenus amis. Le jeune homme nous fait partager sa rencontre avec l’une des personnalités radio, les plus inoubliables des années soixante-dix.

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Jean-Baptiste Bergès, auteur de « Menie Grégoire, Ses derniers souvenirs »

 

Coulissesmédias : Si vous deviez choisir un mot pour résumer Menie ?

Jean-Baptiste Bergès : Résumer Menie Grégoire en un seul mot est quasi impossible. Quand je parle d’elle, je ne peux plus m’arrêter. Sa carrière est tellement exceptionnelle. C’était une femme remarquable, passionnée par les êtres humains, qui a aidé un grand nombre de Françaises et de Français en détresse. Grâce à son émission, elle a libéré la parole des femmes (et des hommes aussi), elle les a aidé à trouver des solutions à leurs maux les plus profonds. Elle s’est servie de sa propre expérience de vie pour solutionner les problèmes de la société des années 70. Et en écoutant les auditeurs, en les conseillant, elle a favorisé l’élaboration de nouvelles lois en dénonçant tout un tas d’incohérences sociales. Tout ça grâce à la magie de la radio. Vous voyez que c’est compliqué de la résumer en un seul mot. Mais puisque vous y tenez, je choisirai le mot « Magnifique » pour trois raisons. D’abord parce que physiquement, elle était Magnifique : lorsque nous nous sommes rencontrés, j’ai été littéralement charmé par sa beauté. Je n’avais jamais vu une grand-mère aussi belle et coquette. Ensuite « Magnifique » parce que c’était une magnifique personne, profondément philanthrope. Et puis « Magnifique », parce que notre rencontre fut tout simplement Magnifique.

Coulissesmédias : Cette rencontre justement, racontez-nous ce qui vous a conduit à elle.
Jean-Baptiste Bergès : L’histoire est simple. A l’époque je travaillais pour Coulissesmédias et j’envisageais d’écrire un article sur une personnalité radio du passé, parce que j’affectionne particulièrement le vécu des mes aînés et davantage lorsqu’il s’agit de radio puisque je suis passionné par ce média depuis mon adolescence. J’ai immédiatement pensé à Menie Grégoire car RTL est ma radio préférée, l’histoire de cette maison me fait frissonner et bien que je n’ai jamais pu écouter l’émission de Menie, je connaissais sa carrière. J’ai donc décidé de la rencontrer pour l’interviewer. Et lorsqu’elle me donna rendez-vous à son domicile, nous nous sommes rendus compte que nous étions voisins. Sans le savoir j’habitais à côté de chez Menie Grégoire depuis presque un an. Pour moi cette anecdote n’est pas banale. C’est le point de départ de notre histoire.

Ménie Grégoire, pionnière de la radiorealité sur France Culture

Coulissesmédias : Elle vous appelait « le journaliste du bout de la rue »…

Jean-Baptiste Bergès : Oui en effet. Mais je ne l’ai su que le jour de ses funérailles, l’année dernière. A ce moment là, l’une de ses petites filles est venue me voir en me disant « c’est toi le journaliste du bout de la rue ? ma grand-mère t’appelait ainsi ! ». C’est aussi à ce moment là que ses proches m’ont demandé de sortir ce livre. Je l’avais déjà écrit, Menie a pu le lire avant de partir mais je n’avais pas trouvé d’éditeur jusque là. Elle tenait à ce que je le publie pour qu’il reste une trace de son émission, bien qu’elle n’ait pas eu besoin de moi pour laisser son emprunte dans l’histoire de la radio française. Mais ma volonté est de susciter de l’engouement chez des personnes qui seraient passées à côté de cette personnalité aussi emblématique. Quand les lecteurs me disent qu’après avoir lu mon livre ils ont redécouvert Menie et ils la considèrent aujourd’hui comme un modèle, je me dis que le pari est gagné.

Coulissesmédias : Pensez-vous que votre livre peut aussi intéresser les jeunes ?

Jean-Baptiste Bergès : Sans hésitation, oui. Les souvenirs de Menie nous permettent de comprendre l’histoire de nos parents, de nos grands-parents et par conséquent notre histoire à tous. Et j’invite la jeune génération à questionner leurs aïeux et à recueillir leurs témoignages comme je l’ai fait avec Menie. Discuter avec un ancien vaut mieux que 10 ans d’études. Et avec Menie Grégoire vous imaginez ? En l’écoutant me raconter sa vie, j’ai d’une certaine façon « étudié » l’histoire, la sociologie, l’anthropologie, la psychanalyse, la littérature. J’ai beaucoup appris à ses côtés. Les personnes âgées ont besoin de considération. Notre société prône le jeunisme, pourtant les vieux ont tant de chose à nous communiquer… Nous pouvons tous devenir des passeurs de mémoires.

Coulissesmédias : Qu’est ce qui vous a le plus marqué parmi les nombreux souvenirs qu’elle vous a confiés ?

Jean-Baptiste Bergès : Au départ, Menie Grégoire, c’était pour moi, comme pour beaucoup de gens encore, une animatrice de libre antenne qui donnait des conseils sexuels au Français. C’est vrai que son émission sexuelle a marqué une grande partie de sa carrière. Mais, dès nos premières discussions, je me suis rendu compte que Menie ne se résumait pas qu’à ça. Il faut rappeler qu’au départ elle ne traitait pas de sexe dans son émission. Les problèmes des auditeurs étaient bien plus profonds. Lorsqu’elle a commencé, les auditeurs avaient besoin de réponses à des interrogations de la vie courante. Et certains étaient dans un tel désarroi qu’ils ne voyaient pour seule issue que la mort. Elle m’a raconté des histoires qui m’ont fait froid dans le dos, comme cette jeune fille enceinte qui avait avalé des insecticides dans l’espoir de mourir avec son fœtus parce que son père venait de la mettre à la porte. Une autre qui voulait tuer son aîné parce que son mari venait de la quitter pour une autre. J’avais l’impression qu’elle me parlait du Moyen-âge alors qu’il s’agissait de problèmes récurrents jusqu’au milieu du siècle dernier. Les Français étaient ignorants en tous points et n’avaient personne à qui demander de l’aide. C’est pour ça que l’émission de Menie a eu du succès. Parce que d’un seul coup, tout le monde pouvait venir confier son mal-être, même l’indicible, anonymement à une inconnue. Son émission était une émission de service public. Ce qui m’a marqué aussi c’est de m’apercevoir que Menie avait dû faire un long travail d’analyse, pour devenir la femme qu’elle a été. Pour devenir une femme libre, elle a dû découdre avec le schéma familial de son enfance, où le père était, comme dans la plus part des familles de l’époque, seul décisionnaire. Ses idées féministes lui viennent de son enfance. Toute petite déjà, elle ne comprenait pas pourquoi les femmes ne pouvaient être égales aux hommes. Et, c’est en partie grâce à son histoire familiale qu’elle a décidé de devenir la femme qu’elle a été et par la suite aider d’autres femmes à s’émanciper. Cette femme était destinée seulement à se marier et à élever des enfants et elle est devenue fer de lance de la liberté féminine. Ce destin hors du commun m’a beaucoup marqué.

Coulissesmédias : Parliez-vous seulement du passé ?

Jean-Baptiste Bergès : Non. Menie s’intéressait énormément à l’actualité. Nous parlions souvent médias. Elle aimait beaucoup Sophie Davant, Laurent Ruquier et Brigitte Lahaie. Nous regardions le rugby ensemble puisqu’elle adorait contempler les joueurs sur le terrain même si elle n’a jamais compris les règles du jeu. Et puis nous discutions surtout de l’évolution de notre société. La vie d’aujourd’hui lui suscitait de nombreuses interrogations. Les relations hommes/femmes par exemple. Elle avait l’impression que les hommes ont, aujourd’hui du mal, à trouver leur place dans le couple face à des femmes indépendantes. Elle se désolait de voir, aujourd’hui, autant de femmes seules. Elle me disait : « J’ai l’impression que les hommes ne veulent plus des femmes, ils en ont peut-être peur ? ». D’ailleurs, une admiratrice lui avait écrit une lettre lui demandant de reprendre le micro mais pour les hommes cette fois.

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Coulissesmédias : C’est peut-être la mission de ses héritières?
Jean-Baptiste Bergès : En effet ! Brigitte Lahaie le fait déjà sur RMC. Elle aide les hommes à trouver leur place dans le couple. Certains se trouvent désarmés face à une femme trop indépendante. Je pense également que la principale mission des héritières de Menie est de pallier à la solitude. C’est l’un des fléaux de notre société qui touche les plus vieux comme les plus jeunes. 74% des 18 à 24 ans disent avoir déjà souffert de solitude. C’est étonnant dans une société où les réseaux sociaux nous promettent des tas « d’amis » ? Quand on écoute les émissions d’Evelyne Adam et de Caroline Dublanche on se rend compte qu’il y a beaucoup de personnes seules et perdues. Et ces émissions sont essentielles. Il faudrait que d’autres radios osent créer ce genre d’émission. La nuit à la radio devrait être consacré au bien être des auditeurs.

Coulissesmédias : Ménie Grégoire était-elle nostalgique de son émission ?

Jean-Baptiste Bergès : Menie n’a jamais été nostalgique. Elle disait : « ce qui est fait n’est pas plus à faire ». Lorsqu’elle a quitté RTL, elle a commencé une nouvelle carrière, celle de romancière. Son dernier livre est d’ailleurs sorti deux mois avant sa mort. Elle n’a jamais été nostalgique mais elle n’a pas pour autant oublié cette partie de sa vie. Cette émission a été ce qu’elle a fait de plus important. Pendant 15 ans, elle s’y est consacrée corps et âmes. Et jusqu’à la fin, elle repensait à ses auditeurs, à ces femmes et ces hommes qui sont venus lui confier leur intimité.

Photo 4ème de couverture Menie Grégoire

Jean-Baptiste Bergès et Ménie Grégoire

Coulissesmédias : Allez-vous écrire un autre livre ?

Jean-Baptiste Bergès : Cette question me surprend toujours car je n’ai pas la prétention d’avoir les talents d’un écrivain. Je suis journaliste télé-radio avant tout et je compte bien continuer dans cette voie professionnelle qui me permet de raconter des histoires humaines extraordinaires. Mais, c’est vrai que j’ai beaucoup aimé ce nouvel exercice. Et Menie m’a d’ailleurs conseillé d’écrire d’autres ouvrages. Si je trouve l’inspiration ou si je fais une rencontre aussi marquante que celle d’il y a 3 ans, pourquoi pas me lancer de nouveau dans cette aventure. Tout dépendra de ce que la vie me réserve. Nous verrons bien. Mais pour l’instant, ce n’est pas d’actualité.

Propos recueillis par Antoine Rogissard.

 

Menie Grégoire, Ses derniers souvenirs  de Jean-Baptiste Bergès, publié aux éditions du Panthéon.

Jean-Baptiste Bergès est journaliste pour l’émission « Météo à la Carte » diffusée tous les jours à 12h55 sur France 3. Il présente aussi « Vivre FM c’est vous » le lundi, mardi et mercredi, une émission de témoignages et de parcours de vie, sur Vivre FM, la radio du handicap. 93.9 en Ile de France.