Bruno Duvic « Il fallait retourner sur le terrain »

Après six ans en tant que chroniqueur dans le « 7/9 » de France Inter, Bruno Duvic est depuis la rentrée à la tête d’« Un Jour en France », une émission qui donne la parole à tous les Français. Coulissesmédias a rencontré pour vous un véritable homme de radio qui dresse chaque jour le portrait de la France d’aujourd’hui.

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Coulissesmédias : Depuis août, on vous retrouve à la tête d’« Un Jour en France » sur France Inter. Cette émission c’est un peu le résultat du mouvement « De l’air à France Inter » et le reflet de la volonté d’augmenter la diversité sociale à l’antenne ?
Bruno Duvic : La volonté, c’est de faire entendre la France à travers les reportages, à travers les témoignages d’auditeurs, à travers la pluralité des invités qu’on peut avoir. Ce n’est pas lié à un mouvement social X ou Y, c’est faire entendre tout ce qui se passe en France, tous les gens sur le terrain, tous les acteurs de ce qui se passe en France.

Coulissesmédias : Et d’aller à la rencontre de tous les Français ?
Bruno Duvic : Aller à la rencontre de tous les Français, que ce soit dans les entreprises, dans les villages, dans les collectivités, autour des stades… Parcourir la France. L’idée c’est, à la fin de l’année, qu’on ait eu une photo de ce qui se passe en France, de la société française aujourd’hui.

Coulissesmédias : L’émission propose des reportages, un débat avec des personnes en plateau mais aussi des auditeurs qui peuvent donner leur avis à tout moment…
Bruno Duvic : La particularité de l’émission, elle est là. Elle est dans ce mélange des trois qui sont en fait des registres de parole différents. Le reportage va nous permettre d’avoir du concret, d’aller voir ce qui se passe sur le terrain, comment le vivent les habitants du pays, les auditeurs, eux, vont nous permettre d’avoir un dialogue, d’obtenir des témoignages ou des questions, une parole spontanée et puis après, il y a des gens en plateau qui permettent de formaliser les choses, de les mettre en perspective. C’est cette pluralité d’angles d’accroche autour de laquelle on a voulu former cette émission.

« L’émission est au carrefour de l’actualité et des questions de société »

Coulissesmédias : Vous abordez des sujets très éclectiques, de la politique aux énergies renouvelables ou aux animaux de compagnie par exemple mais qui peuvent toucher une majorité de Français ?
Bruno Duvic : L’émission est au carrefour de l’actualité et des questions de société. Elle est éclectique parce que ce qui se passe en France est éclectique, la question des animaux de compagnie c’est une question de société, dans un registre différent certes, mais au même titre que les énergies renouvelables. Cet éclectisme-là j’y tiens beaucoup parce qu’il ressemble à la vie quotidienne qu’on vit tous._DSC6606web

Coulissesmédias : Comment choisissez-vous ces sujets ?
Bruno Duvic : En discutant, en lisant la presse, notamment régionale, en réfléchissant, en voyant ce qui se passe dans l’actualité, en allant regarder sur les réseaux sociaux… toutes les sources d’inspiration classiques.

Coulissesmédias : C’est vous-même qui choisissez les sujets ?
Bruno Duvic : Essentiellement oui. Il y a une discussion avec l’équipe, avec la direction de cette maison mais c’est essentiellement moi.

Coulissesmédias : Combien êtes vous à travailler sur cette émission ?
Bruno Duvic : Il y a une réalisatrice, deux assistants de production, une stagiaire et ma pomme donc, nous sommes cinq.

Coulissesmédias : Les reportages sont faits par des personnes de votre équipe ou par des correspondants de France Inter ?
Bruno Duvic : Ils sont faits par des personnes en partie de la rédaction de France Inter, qui travaillent pour les journaux d’information et des reporters qui travaillent pas mal pour cette émission mais aussi pour d’autres émissions de programme de France Inter. Il y en a quelques uns qui reviennent plus régulièrement mais qui ne travaillent pas exclusivement pour l’émission.

Coulissesmédias : Comment vous est venue l’idée de cette émission ?
Bruno Duvic : L’idée, elle vient un petit peu de ce qui s’est passé en janvier dernier après les attentats, lorsqu’on s’est aperçu que les médias n’avaient pas forcément vu venir les quatre millions de personnes dans la rue et les minutes de silence non respectées dans les lycées. On s’est rendu compte que l’on n’avait pas assez de capteurs peut-être pour comprendre ce qui se passait, qu’il fallait retourner sur le terrain, reparler avec les gens.

Coulissesmédias : Vous la produisez, c’était important pour vous de revenir à la présentation ?
Bruno Duvic : Ce que j’aime dans ce métier, c’est le direct et être au micro donc que ce soit à travers une chronique ou via une émission, j’avais envie de continuer ça.
Coulissesmédias : Vous découvrez une nouvelle case horaire (10-11h), vous êtes un peu un « globe-trotter » de la radio ?
Bruno Duvic : J’ai passé beaucoup de temps le matin et la nuit donc, c’est un changement de vie personnelle. On se lève moins tôt, on est moins décalé.

Coulissesmédias : C’est un changement aussi dans la façon de parler et de présenter l’émission ?
Bruno Duvic : Avant, j’étais dans une tranche d’information, le « 7/9 », là je suis dans une émission de programme à une heure où les gens écoutent la radio différemment, plus cool. Il faut être dans l’accompagnement, dans l’empathie. On a plus de temps, on est moins corseté et il faut que cela s’entende à l’antenne.

« Je n’avais pas envie de le laisser passer »

Coulissesmédias : Après six ans de revue de presse dans la matinale, vous sentiez qu’il était temps de passer à autre chose ?
Bruno Duvic : Cela faisait quelques années que je disais « J’adore ce que je fais mais s’il y a autre chose, pourquoi pas ? » et il y a cette proposition qui a été faite donc je l’ai saisie. J’aurais pu continuer le matin encore quelques années mais voilà, il y avait un chouette projet qui m’était proposé et je n’avais pas envie de le laisser passer.

Coulissesmédias : N’est ce pas compliqué d’installer un tel concept le matin à la radio?
Bruno Duvic : Ce n’est pas compliqué parce qu’on est quand même sur des questions très concrètes et c’est une heure où, habituellement, il y a des choses très concrètes qui sont dites et abordées dont des questions de société. La couleur n’est pas si différente de ce qui existait avant avec « Service Public ». La différence, c’est qu’on laisse plus de place au reportage.

Coulissesmédias : Vous espérez ancrer cette émission dans le paysage radiophonique français ?
Bruno Duvic : Je ne sais pas si je le formulerais comme ça parce que ça serait un brin prétentieux, en tout cas j’ai envie qu’elle marche, bien sûr. On fait de la radio aussi pour que ça plaise aux gens, qu’ils l’écoutent et qu’elle leur apporte quelque chose.

Coulissesmédias : Vous avez des retours en terme d’audience ?
Bruno Duvic : Les premiers sondages étaient bons.

Coulissesmédias : Au-delà de vos attentes ?
Bruno Duvic : Plutôt au-delà oui, de mémoire on a gagné entre 100 et 200 000 auditeurs.

Coulissesmédias : Parlez nous de votre public. Qui vous écoute principalement le matin?
Bruno Duvic : C’est une heure où le profil des auditeurs correspond plutôt à des auditeurs de province, beaucoup d’auditrices et peut-être un public un peu plus âgé que le matin. On ne s’adresse pas à un public en particulier, on tient compte de l’heure à laquelle on parle et un petit peu aux gens à qui on s’adresse mais ça ne change pas fondamentalement les choses.

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Coulissesmédias : Selon vous, est-ce que l’on parle suffisamment des régions que ce soit à la télé ou à la radio ?
Bruno Duvic : Je pense que ce qui est intéressant de défendre, c’est le reportage. Des émissions de société, il y en a plein, des émissions qui font la place aux reportages, il n’y en a sans doute pas assez.

« La France est coupée en deux »

Coulissesmédias : Si je vous demande de prendre la France en photo, que décrivez-vous sur votre cliché ?
Bruno Duvic : J’ai l’impression que la France est coupée en deux. Ce n’est pas une coupure nette mais elle est coupée en deux entre la population qui bénéficie de la mondialisation, qui en maîtrise les codes et qui peut en tirer profit, et une partie de la population qui pâtit de la mondialisation et de tout ce qu’elle implique. Si je devais prendre une photo de la France aujourd’hui, je crois qu’elle tournerait autour de cette rupture-là entre ces deux catégories de la population.

Coulissesmédias : Dans « Et pourtant elle tourne », vous aviez vécu de grands événements comme l’élection de Barack Obama. Vous dîtes vous-même que cette année fut « riche et dense », vous vivez la même chose en ce moment ?
Bruno Duvic : C’est le moins que l’on puisse dire. C’est une année particulière dans le sens où c’est une année marquée par des attentats qui ont ouvert des dizaines et des dizaines de questions sur notre société mais je dirais que c’est une période particulière. Je pense que c’est une période où il y a plein de choses qui changent en France, la façon de faire de la politique, de l’économie, du commerce, d’enseigner, de draguer… On est au milieu de cette période de changement et c’est ce qui m’intéresse aussi d’examiner à travers cette émission.

Coulissesmédias : Vous avez senti un changement dans les réactions des auditeurs après les attentats ?
Bruno Duvic : Ce que j’ai relevé depuis le départ de cette émission et peut-être particulièrement depuis novembre, c’est un besoin de parler. On lance des appels aux auditeurs, « posez-nous vos questions », « témoignez » et en fait, on reçoit des mails très très très très longs qui traduisent vraiment le besoin d’exprimer, d’échanger et là, je pense que c’est encore renforcé par les attentats.

Coulissesmédias : Votre rôle, c’est aussi d’accompagner les auditeurs, de les aider à comprendre ?
Bruno Duvic : Bien sûr mais ça je pense que c’est le rôle de base de tout journaliste, on est là pour être des médiateurs, des intermédiaires entre ce qui se passe dans le pays et les personnes qui peuvent nous aider à le comprendre. C’est ça notre métier.

« France Inter, c’est une maison à laquelle je suis très attaché »

Coulissesmédias : Vous êtes entré à Radio France il y a quinze ans maintenant, vingt ans même puisque vous aviez effectué un stage à France Bleu Loire Océan, c’est une deuxième maison pour vous ?
Bruno Duvic : C’est cruel de me dire ça. En tout cas, c’est une maison à laquelle je suis très attaché parce que je crois qu’on a un mélange de liberté, de fantaisie et d’exigence, des possibilités d’expérimenter des choses, je pense, uniques. La cerise sur le gâteau sur France Inter c’est, qu’au sein de cette magnifique maison qu’est Radio France, en plus d’avoir cette liberté d’essayer de faire le pas de côté, la liberté totale d’imaginer des sujets, d’écrire, de dire ce qu’on pense et ce qu’on veut, c’est la station qui s’adresse au plus de gens donc, il y un vrai impact.

Coulissesmédias : Il vous reste des choses à découvrir ici ?
Bruno Duvic : Des dizaines et des dizaines, c’est ce qui est génial dans cette maison. Il y a tellement de chaînes, de postes, que ce soit à l’antenne ou hors-antenne, qu’il y en a infiniment à découvrir.

Coulissesmédias : Vous y êtes entré après avoir obtenu la bourse René Payot en 2000, cela a changé votre vie ?
Bruno Duvic : Changé ma vie, je ne sais pas mais, en tout cas, c’est ce qui m’a permis après l’école de revenir à Radio France et d’y être embauché. En ce sens, cela a eu un rôle important.

Coulissesmédias : Vous auriez pu avoir la même carrière sans ?
Bruno Duvic : Je ne sais pas, peut-être pas mais c’est difficile de dire. C’est certainement un coup de main bien sûr.

Coulissesmédias : La radio c’est toute votre vie ?
Bruno Duvic : C’est ce que je voulais faire, comme beaucoup. Tout petit, déjà, je voulais faire journaliste et puis, très vite, journaliste radio. J’ai eu quelques expériences en télé mais je suis très

(c) Christophe Abramowitz

(c) Christophe Abramowitz

attaché à la radio parce qu’il y a un mélange d’intimité avec les gens, on est dans leur vie, dans leur salle de bain, dans leur cuisine, dans leur salle à coucher, dans leur voiture et en même temps c’est un espace qui est très libre, qui laisse la possibilité de faire plein de choses différentes, de jouer avec le son, d’imaginer des formats. C’est à la fois très libre, très intime et qui laisse la place à l’explication aussi donc c’est un média auquel je suis très attaché.

Coulissesmédias : Vous l’avez dit, vous avez eu des expériences en télévision, notamment « Zoom Europa » sur Arte et le « Supplément » de Canal+, y revenir vous tenterait ?
Bruno Duvic : Pourquoi pas ? Il ne faut jamais dire jamais. En l’état, il n’y a pas de projet mais je ne suis fermé à rien.

Coulissesmédias : Cela vous plairait d’animer à la télévision une émission de « débat citoyen » comme celle-ci ?
Bruno Duvic : Pourquoi pas ? Pourquoi pas ? Vous me donnez des idées.

« C’est une immense chance »

Coulissesmédias : Qu’est-ce qui vous porte lorsque vous êtes derrière le micro ?
Bruno Duvic : Le plaisir, l’envie de transmettre et le sentiment que c’est une immense chance quand même. Tous les jours, on me laisse prendre le micro pendant une heure sur une radio comme France Inter, c’est une chance incroyable. Il y a le mélange des trois, le plaisir, l’envie de transmettre, de comprendre les choses avec les auditeurs et puis, ce sentiment d’être un privilégié.

Coulissesmédias : Dernière question, quels conseils donneriez-vous aux jeunes journalistes qui veulent se lancer aujourd’hui ?
Bruno Duvic : Il faut être une éponge, c’est-à-dire absorber tout ce qui se passe autour, capter tout ce qui se passe dans le pays, les regards des gens, les paroles, les mouvements. Quand on capte tout, on finit par en faire quelque chose qui a du sens et qui est très personnel. Il faut être attentif.

Propos recueillis par Antoine Rogissard
Photos : Matthieu Munoz.