Augustin Trapenard : « Je m’amuse énormément, intellectuellement et professionnellement »

Présent depuis la rentrée, chaque matin dès 9 h10 sur France Inter avec « Boomerang », Augustin Trapenard est revenu pour Coulissesmedias.com sur sa nouvelle émission, sa passion pour la littérature et sa notoriété acquise depuis qu’il a rejoint « Le Grand Journal » de Canal+ en 2012.

Coulissesmédias : Quelle est l’origine de cette collaboration avec France Inter ?

Augustin Trapenard : J’ai commencé la radio avec la directrice de France Inter, Laurence Bloch. C’était ma première expérience de média et je l’ai toujours gardée dans un coin de ma tête. J’ai gardé un lien fort avec Laurence puis je suis allé chez Nova pendant 3 ans, à France Culture et elle m’a rappelé quand elle est arrivée sur France Inter pour me proposer de faire un été. Ça s’est très bien passé et, à la fin, il y a eu un rendez-vous manqué, elle voulait me proposer quelque chose mais Olivier Poivre d’Arvor de France Culture m’a proposé mon rêve : une émission culturelle, et je l’ai acceptée parce que Bernard Pivot est mon idole. Trois ans après, Laurence m’a recontacté, on s’est beaucoup parlé et elle m’a proposé cette offre qui ne se refuse pas en culture parce que le 9h de France Inter est la plus belle tribune culturelle. C’est la chaîne nationale que j’écoutais quand j’étais petit avec mes parents et l’idée de passer après Pascale Clark était un défi, une gageure. Je l’ai acceptée pour m’ouvrir aussi à une émission culturelle qui soit moi-même. A la radio, on vous laisse libre, on a carte blanche donc j’ai construit avec l’héritage de la radio, de Pascale Clark, avec ma sensibilité, une émission que j’aime. Quand on débarque à heure aussi importante pour les auditeurs, il faut garder une transition. J’avais très envie de garder les jalons de Pascale Clark qui était ma voix préférée du PAF, mon maître quelque part (rires), je l’écoutais tous les matins.

Coulissesmédias : A quoi fait référence « Boomerang » ?

Augustin Trapenard : Le titre de l’émission (ndlr : « Comme on nous parle ») que Pascale Clark animait à cette heure renvoyait à la chanson d’Alain Souchon. Celui de la mienne fait référence à la chanson de Gainsbourg « Comme un boomerang ». C’était important pour moi de garder une tradition de France Inter. C’est une trajectoire intéressante et un mot que j’aime beaucoup. Le fait de revenir sur soi, ça peut être pris dans le mauvais sens du terme, il va vous revenir à la figure, ou dans le bon sens du terme pour un artiste qui vous laisse un objet culturel qu’il défend, un film, une pièce de théâtre, un roman, un disque. Il dit quelque chose de lui donc le boomerang lui revient. Il y a cette idée de trajectoire et puis « Boomerang » je pense au « boom » et au « bang » et à l’émotion. C’est très important de sentir de l’émotion, le rire, la peur et le silence qui peut dire énormément de choses. La radio, c’est d’abord le silence.

« Ma spécialité, c’est de toujours me mettre au service de la parole de l’artiste »


Coulissesmédias : Comment avez-vous appréhendé cet exercice délicat qu’est l’interview ?

Augustin Trapenard : C’est un exercice que je fais depuis longtemps parce que j’ai passé trois ans sur France Culture avec trois romanciers. Le romancier est très particulier à interviewer par rapport au cinéaste pour qui la parole est plus fluide ou à l’acteur qui peut parfois jouer au cœur de l’interview. Cela se rapproche plus du musicien qui a du mal à exprimer car il se réalise par la musique. Le langage est son mode d’expression et ça peut être très facile comme très compliqué donc j’ai eu – on en a eu la preuve avec Patrick Modiano – des romanciers pour qui la parole était heurtée donc cela peut être facile comme très difficile. Ça m’intéresse énormément parce que c’est un mode de passage et c’est peut-être la plus belle façon d’appréhender la littérature et de faire entendre la voix de l’auteur, du créateur. Ma spécialité, c’est de toujours me mettre au service de la parole de l’artiste. Si je peux parler le moins possible, je le fais. C’est quelque chose que m’a appris France Culture. Je ne suis pas là pour couper la parole et me mettre en avant. J’ai remarqué que le journalisme aujourd’hui évolue beaucoup dans le sens inverse, se met en avant, est ultra-présent. Mon image est déjà assez présente à a télévision pour qu’elle le soit moins à la radio et qu’elle soit au service de la parole du créateur.

 

augustin-trapnard-canal-plusCoulissesmédias : Est-ce plus facile de parler de culture à la radio qu’à la télévision ?

Augustin Trapenard : Très certainement. La radio est le plus beau média pour parler de culture parce que rien n’est contaminé par l’image. La voix est beaucoup moins violente en terme d’image, moins envahissante. Quand je suis à la télévision, la plupart des commentaires qu’on me fait concernent ma cravate, mes yeux bleus ou le col de mes chemises. 10% des commentaires portent sur mon travail.

« On se trompe de cible en attaquant les journalistes culturels »

Coulissesmédias : Etes-vous satisfait du résultat ?

Augustin Trapenard : Je pense que je ne suis jamais satisfait mais je m’amuse énormément, intellectuellement et professionnellement. Après trois ans sur France Culture, je n’étais pas encore satisfait et je pense que je ne le serai jamais. C’est dans l’insatisfaction la plus totale qu’une émission devient bonne. L’émission évolue encore. L’enjeu, pour l’instant, est un enjeu de programmation. Il faut la faire connaître aux artistes, aux gens qui s’en occupent et surtout aux auditeurs, leur donner l’envie d’en faire une habitude et de faire entrer à 9h tous les matins, un entretien avec un artiste dans leur quotidien.

Coulissesmédias : Quelles sont les personnalités que vous admirez et que vous aimeriez recevoir ?

Augustin Trapenard : Je suis soumis à l’actualité culturelle. Je fais très attention, dans tous les domaines, d’essayer de choisir des artistes qui me plaisent, qui m’excitent, qui m’intéressent, mais la question du jugement ne se pose pas vraiment et je ne sais pas si ça donne forcément une très bonne interview.

Coulissesmédias : Votre ancien patron Olivier Poivre d’Arvor vous présentait comme le futur Bernard Pivot. Pensez-vous en avoir l’étoffe ?
Augustin Trapenard : En tout cas, c’est très gentil. Non ! Sûrement pas ! (rires) Pour plein de raisons. Enfant, je l’écoutais avec mes parents sur France Inter. C’est mon idole, il le sait, je lui dis chaque fois que je le croise, je l’appelle « Mon maître » ou « Mon Dieu » et il me répond « Au moins ! ». La littérature est un tout petit milieu qu’on a tendance à beaucoup décrier et dont on se moque beaucoup. Moi, pas du tout. François Busnel est un homme que je respecte énormément, je trouve qu’il fait énormément de choses pour la littérature, tout comme Jérôme Garcin ou Olivia de Lamberterie. Ce sont des noms qui comptent énormément et je trouve qu’on se trompe de cible en attaquant les journalistes culturels parce qu’ils sont nécessaires aujourd’hui. La parole de l’artiste, on ne l’entend plus et quand on l’entend, on ne l’écoute pas.

Coulissesmédias : Qu’est-ce qui vous différencie des autres journalistes culturels avec cette émission?

Augustin Trapenard : Je pense que ce qui me distingue, c’est peut-être ma curiosité, mon éclectisme. Je suis ouvert à tout, peut-être à cause ou grâce à ce parcours universitaire qui fait que je ne juge pas du tout. Je m’intéresse, je pense que c’est une grande force, et j’ai cette curiosité heureuse, je rigole souvent, je m’amuse beaucoup de ce que je fais, j’adore mon métier. Je pense que c’est ça qui a séduit France Inter et Canal+.

Coulissesmédias : Vous avez eu un parcours peu ordinaire. Pourquoi avoir décidé de quitter l’enseignement pour le monde des médias ?

Augustin Trapenard : Parce je me suis rendu compte quand je suis parti enseigner aux Etats-Unis que l’enseignement comme j’aimerais le faire, je ne pourrais pas le faire en France. Tout simplement.

« Les gens me parlent beaucoup de ce que je fais et ça me touche énormément »

Coulissesmédias : Vous êtes l’un des piliers du « Grand Journal » depuis 2012, comment vivez-vous cette notoriété ?

Augustin Trapenard : Non, je suis l’un des chroniqueurs du « Grand Journal ». Je la vis très bien parce qu’en fait, j’ai remarqué que les gens sont hyper sympathiques, je pense que c’est lié au fait que j’ai une parole spécialisée, de culture, et depuis cette année, de littérature seulement. Parce que je me suis ouvert sur France Inter à la culture en général, j’ai demandé au « Grand Journal » de ne parler que de littérature. Quand je les croise dans la rue, les gens m’interpellent pour me demander le titre d’un livre dont j’ai parlé. Ils me parlent beaucoup de ce que je fais et ça me touche énormément parce que mon but est de partager le plaisir de lire, c’est tout ! Sur internet, souvent ils ne commentent pas mon travail mais mon style (rires).

Coulissesmédias : Vous sentez-vous plus à l’aise seul ou au sein d’une bande ?
Augustin Trapenard : Ce sont deux exercices complètement différents. Je pense que la télévision exige une forme de séquençage. Il faut qu’il y ait des petits moments parce que c’est comme ça qu’on attire l’attention des gens, c’est aussi l’évolution du champ culturel et médiatique. Si l’on arrivait à 19h avec deux heures d’interview en face à face, on aurait personne, il ne faut pas se leurrer. Moi j’aime bien les beaux discours. La bande est nécessaire parce qu’elle permet de passer d’une idée, d’un sujet à un autre, comme dans un journal. Je suis très heureux au « Grand Journal » parce que je me marre tous les jours. Antoine (ndlr : Antoine de Caunes, le présentateur du « Grand Journal ») me fait jouer sans cesse, il me déride un petit peu. J’ai quand même ce côté universitaire où on ne rigole pas avec la culture mais il m’a appris à m’en amuser encore plus et je lui en serai toujours gré. J’étais un peu rock’n’roll quand j’étais prof mais pas à ce point là. D’ailleurs, mes élèves m’écrivent, ils sont contents, souvent ils m’écoutent sur France Inter. Il y en a même qui me regardent à la télé, vous imaginez ! (rires).

« Interviewer Stephen King était le rêve de ma vie »

Augustin-Trapenard-france-interCoulissesmédias : Quel livre vous représenterait le mieux ?

Augustin Trapenard : Ce serait « Les Hauts de Hurlevent » parce que c’est un livre que j’ai lu à 12 ans qui a fait toute l’histoire de ce que je suis et que j’ai dû le lire une trentaine ou une quarantaine de fois. J’ai fait toutes mes études dessus, mon mémoire de maîtrise, mon mémoire de DEA, l’élaboration de ma thèse de doctorat, et je l’ai beaucoup enseigné. Il compte beaucoup pour moi parce qu’il fait exploser la littérature. Je me suis rendu compte qu’on pouvait faire imploser totalement les codes de l’art. Emily Brontë qui n’est pratiquement jamais sortie de chez elle fait tout péter. Il n’y a rien de plus rock’n’roll.

Coulissesmédias : Quelle interview vous a particulièrement marqué ?

Augustin Trapenard : (Il hésite) C’est Stephen King, un écrivain qui compte beaucoup pour moi parce que mon grand frère me l’a fait découvrir lorsque j’avais 11 ou 12 ans et je me souviens de nuits de sueurs froides. Il m’a fait lire « Charlie » avec cet enfant qui a un don du feu né d’une expérience que ses parents ont faite. C’est un livre, assez mineur de Steven King, qui m’a traumatisé et que j’aime beaucoup. J’ai eu la chance de l’interviewer l’année dernière devant tous les libraires de France et de Navarre, devant tous les fans, c’était une expérience très difficile. J’ai fait l’interview en français, on avait un traducteur parce que j’étais face à un auditoire. C’était le rêve de ma vie et je l’ai fait avec énormément d’émotion et je me souviens avoir failli pleurer au moment de faire mon édito. Cela m’est arrivé deux fois. La première c’était lorsque j’avais reçu Juan Gabriel Vasquez sur France Culture, je me suis mis à lire pace qu’il y a toujours un passage où je lis quand je reçois un écrivain et là, ma voix s’est cassée et j’ai failli pleurer. Ce sont des interviews qui ont beaucoup compté pour moi, pour des raisons différentes.

Propos recueillis par Olivier Sudrot
Photos : France Inter/Christophe Abramowitz